samedi 19 mai 2018

Le géographe des brindilles. Jacques Lacarrière.

J’ai eu plaisir à retrouver l’écrivain disparu en 2005 qui m’avait impressionné par son érudition pendant « L’été grec » et ravi dans « La France sous l’écorce ».
Le marcheur partage poétiquement ses savoirs des protozoaires jusqu’aux étoiles, des temps précambriens jusqu’aux villages qui se vident. 
 « J’aime les pierres venues du fond des mers, j’aime leur mémoire friable mais fidèle. J’aime que sur elles la nature ait gravé sous forme de fossiles, les mille lithographies de nos genèses. »
Il porte la plume depuis les images de son enfance « Les merveilles du monde » insérées dans des tablettes de chocolat jusqu’aux mystères des forêts, libellules et crapauds, abeilles et éphémères, géranium et permafrost, vaches et lions, roman de renart et Félix le chat…  
Des articles de diverses provenances vont fouiller à la racine des mots quand sang et sève, bras et branche ont la même étymologie, dans l’intimité des animaux et des plantes, celle des hommes.
Alors le péché véniel de répétition d’un bon mot : «  A Vézelay on croit, à Chablis on a cru » , s’oublie dans le foisonnement des observations fines, des notations poétiques, des digressions prémonitoires d’un écolo précoce, conséquent et bon vivant.
«  C’est vrai le ciel a une odeur. Pas une odeur de lait comme pourrait le faire croire ce mot trompeur de galaxie mais une odeur d’ozone, d’aisselle d’ange, de coup de foudre en cours et d’orage à venir. »

vendredi 18 mai 2018

L’esprit du peuple. Jacques Julliard.


Le dernier livre, plus de 1000 pages, de Julliard m’a escorté quelques semaines, lui que j’ai accompagné plus de quarante ans, non comme j’aurais suivi un "maître", le mot serait malvenu chez ce libertaire, par ailleurs social démocrate et traditionaliste, mais comme un proche comprenant parfaitement son passage d’éditorialiste du « Nouvel Obs » à « Marianne ».
« La fréquentation des grands textes instaure entre tous ses pratiquants une espèce de démocratie à la fois libertaire et égalitaire, qui est comme un revanche contre toutes les petitesses de la vie. »
Ses talents de pédagogue réussissant à nouveau à faire partager son érudition sans nous regarder de haut, comme dans son ouvrage majeur à mes yeux, « Les gauches françaises » qu’il a parfaitement décrites en tant que chercheur, et pratiquées en militant à  la CFDT.
Je me suis conforté à la reprise de ses critiques étayées des trahisons de la gauche concernant l’école, la laïcité, la sécurité, la nation, pour situer la tromperie du côté des élites qui préfèrent traiter du sociétal que du social.
« Il y avait jadis de la candeur à croire au diable. Il y a aujourd’hui de l’aveuglement à ne pas y croire »
Malgré le titre, ce n’est pas un ouvrage théorique de plus qui mettrait le « Peuple » comme icône hors d’atteinte des populistes, il s’agit d’une biographie aux références développées de Péguy, Bernanos, Simone Weil, Proudhon, vécues au côté de Maire, Rocard…
Où « le refus de parvenir » empêche de persister d’appartenir à quelque « établissement ».
Parmi les nombreuses citations lorsqu’il parle de Claudel et de ses ambassades qui l’ont éloigné de la France :
«  La distance efface les accidents secondaires du terrain, mais exalte le génie des lieux, leur saveur et leur odeur, comme « le vent éteint les bougies et allume le feu » (La Rochefoucault) » 
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Il y a dix ans que je commençais ce blog: depuis 2820 articles ont été postés.

jeudi 17 mai 2018

Pissarro. Damien Capelazzi.


Le musée Marmottan et celui du Luxembourg ont relancé l’intérêt pour « Le premier des impressionnistes » comme l’honore une des expositions, alors que l’autre lui est consacrée sous le titre: « La nature retrouvée » après 40 ans d’absence de Paris.
Né en 1830 à Saint Thomas, aux Antilles alors danoises, d’un père marrane et d’une mère créole, il va étudier en France à Passy où son don pour le dessin est encouragé. Autoportrait.
Revenu dans le magasin de quincaillerie familial pour cinq ans, il part au Venezuela, avec le peintre Fritz Melbye, un ami déterminant dans sa carrière comme son frère Anton. Paysage tropical.
Il arrive à Paris juste avant la fermeture de l’exposition universelle de 1855 qui l’impressionne pour longtemps avec ses Courbet, Corot, Théodore Rousseau et surtout Millet, source de bien des sensibilités en peinture.
Avec les trois derniers de cette prestigieuse liste auquel s’ajoute Daubigny et son Bateau atelier, « l’école de Barbizon » qui peint face au sujet est au complet.  
Il fréquente l’académie du « Père suisse » où il rencontre Monet, Cézanne et  devient ami avec Sisley et Renoir. La biographie du « patriarche des impressionnistes » est une histoire collective où il avait une place reconnue.
Il se met en ménage avec la servante de ses grands parents avec laquelle il aura 8 enfants. Il vit à Pontoise. Le choix des modèles étant dicté souvent par l’économie, Jeanne dite Minette fut mise à contribution.
Route enneigée à Louveciennes. Il refait le monde dans les cafés avec Monet mais dreyfusard, il se fâchera avec Degas.
Maupassant, le canoteur, a loué une maison pas loin de La Grenouillère établissement de bains sur la Seine qu’ont peint Renoir et Monet,« Madagascar de la Seine », « Cap des torses » il avait écrit :
« Ce lieu sue la bêtise, pue la canaillerie et la galanterie de bazar. Mâles et femelles s'y valent. Il y flotte une odeur d'amour, et l'on s'y bat pour un oui ou pour un non, afin de soutenir des réputations vermoulues que les coups d'épée et les balles de pistolet ne font que crever davantage. » Les bains sont mixtes.
Dans les années 70, devant l’avancée des Prussiens, beaucoup d’artistes se réfugient à Londres où se trouve aussi le marchand Paul Durand-Ruel qui diffusera largement les œuvres impressionnistes outre atlantique. Lorsque Pissarro revient, son atelier a été pillé, il ne reste qu’une quarantaine de toiles sur les 1500 qu’il avait entreposées.
Effet de pluie au Valhermeil, Auvers-sur-Oise doit à Turner, quand les couleurs se délitent dans la lumière.
La route de Versailles, au petit matin est subtile, la peinture climatique n’est pas gelée, si on laisse les couleurs venir.
La Barrière  s’inscrit dans une narration, révèle les formes où l’arbre troue comme une portée musicale ; le vivant est respecté dans la balance entre les formes organiques et la géométrie.
La silhouette de la vache d' Un vacher à Valhermeil, provient d’une copie de Jordaens par Gachet, le célèbre docteur homéopathe d’Auvers-sur-Oise. Outre la révélation de la qualité de peintre du collectionneur, ce jeu sur l’histoire de la peinture depuis le baroque anversois jusqu’aux défricheurs du XIX° m’a semblé intéressant. .
Le semeur
La récolte des pommes de terre.
Il se lie avec Cézanne, Côte Saint-Denis à Pontoise.
L'Hermitage à Pontoise : dans un écrin de verdure, Pissarro « piquait », Cézanne plus géométrique « plaquait ». Ils avaient eu tous deux des problèmes avec des pères autoritaires, et avant de repartir loin de Paris, 
l’Aixois manifesta quelque jalousie quand celui qu’il qualifiait d’ « humble et colossal » se rapprocha de Gauguin dont les Pommiers à L'Hermitage semblent avoir été dictés par celui qui sera par ailleurs influencé par Seurat et Signac.
La Récolte des Foins.
Grâce à Monet, il avait acquis une maison à Éragny-sur-Epte avec un beau jardin.
Dans sa série dessinée des Turpitudes sociales, Jean Misère témoigne de l’engagement explicite du libre penseur du côté des anarchistes.
Dans ses dernières années, sa vue est gênée par trop de luminosité. Depuis des chambres d’hôtel derrière les persiennes, il peint en contre plongée :
Avenue de l'Opera, Place du Theatre Français
Boulevard Montmartre, Effet de Nuit
Lui qui conseillait à Matisse qui aimait ses couleurs : «Travaillez et n'écoutez personne» a pris et donné, dans le respect des autres, parlant de Cézanne :
Il a déclenché de grandes gloires de la peinture française. Auto portrait.
Il est mort en 1903.

mercredi 16 mai 2018

XXI. Printemps 2018.


Au moment où « l’ebdo » édité par la même maison disparaissait bien vite, ce numéro du trimestriel de référence vient rassurer les lecteurs.
Le sujet du dossier « Héros et criminels » appelait d‘ailleurs l’originalité et la nuance.
Ainsi le premier  ministre du Kosovo  accusé de crimes de guerre est un héros pour certains de ses compatriotes ou comment en Centrafrique, d’anciens gardes d’une des plus grandes réserves d’animaux sauvages du monde sont devenus braconniers. Aux Philippines des prêtres protègent quelques dealers contre les escadrons de Duterte le président. Un Yakuza aide les nettoyeurs de Fukushima.  
Un écrivain américain habile avec l’informatique a mis au point un robot portant tous les souvenirs de son père et pouvant entretenir une conversation fine avec ceux qui interrogent la machine : l’intelligence artificielle n’est pas forcément une déshumanisation.
Le témoignage intéressant d’un gardien de musée et des portraits photographiques inattendus de personnes fréquentant les bains-douches parisiens alternent avec des récits de luttes pas toujours victorieuses. Les défenseurs du littoral corse se sentent bien seuls comme les Inuits qui s’opposent à l’interdiction de la chasse aux phoques : cette fois là, ce n’est pas le lobbie de chasseurs qui a gagné.
L’entretien avec la nouvelle responsable de la francophonie, Michaëlle Jean,  née à Haïti représentante du Canada est revigorant après l’accablement que peut faire naître l’ampleur du scandale de constructions nouvelles à Alexandrie (Egypte) qui s’effondrent et continuent à s’édifier en toute illégalité.
La bande dessinée à propos d’un périple aux Kergelen montre que ceux qui travaillent à la préservation d’un équilibre écologique trouvent aussi parmi leurs confrères une vérité personnelle qui rend difficile leur retour vers ce monde furieux. 

mardi 15 mai 2018

Un amour exemplaire. Florence Cestac Daniel Pennac.


L’écrivain, mis en scène par la dessinatrice dans le bistrot où il se raconte, disparaît un peu sous les gros nez de l’auteur des « démons du soir », « de midi », « de l’après midi », qui apporte de l’humour à une jolie histoire d’amour chez les laids.
« - Germaine, pourquoi Jean et toi vous n’avez pas d’enfant ?
- Mon petit, en amour, pas d’intermédiaire.
- Jean, c’est vrai que Germaine et toi vous ne travaillez pas ?
- Mon garçon, en amour, le travail est une séparation.
Ca choquait les bourgeois alentour. Moi je les regardais s’aimer. »
Récit de la vie en commun d’un aristocrate et d’une fille de biffin à La Colle-sur-Loup, par le romancier qui les a connus pendant son enfance.
Leur existence est légère, insouciante, ensoleillée; la subsistance des tourtereaux est assurée par des gains aux jeux et un héritage de livres rares.
Révision du terme proustien « faire catleya », car ils n’arrêtent pas de le faire :  
« ... devenu un simple vocable qu’ils employaient sans y penser quand ils voulaient signifier l’acte de la possession physique - où d’ailleurs l’on ne possède rien - survécut dans leur langage, où elle le commémorait, à cet usage oublié. Et peut-être cette manière particulière de dire « faire l’amour » ne signifiait-elle pas exactement la même chose que ses synonymes. »
Cattleya est aussi une orchidée.
Mais il n’y a pas que l’auteur des « jeunes filles en fleurs » qui est cité :
« Un amour, c'est comme un chien, faut le sortir souvent, sinon ça s'attaque aux pantoufles! »
 60 pages émouvantes, souriantes.

lundi 14 mai 2018

The ride. Stéphanie Gillard.


Au pays de « Little big man », il faut que ce soit une jeune réalisatrice française qui vienne raconter la traversée du Dakota, sur 450 km, d’une troupe de cavaliers Sioux en direction  de Wounded Knee, lieu de l’ultime massacre des indiens à la fin du XIX° siècle.
Cette chevauchée accompagnée depuis les années 80 par des camions vise à honorer les ancêtres, mais aussi à initier les plus jeunes aux vertus du travail avec les chevaux, pendant deux semaines dans des conditions climatiques difficiles. Cette recherche d’une identité mise à mal rappelle le génocide initial et la colonisation du nouveau monde, mais aussi les difficultés des réserves clairsemées appartenant à cette civilisation tellement bafouée qu’elle a bien du mal à faire revivre sa culture et sa langue. De bonnes volontés s’acharnent  pourtant à la transmission à laquelle participe avec fraîcheur la cinéaste sympathisante de la cause indienne.

dimanche 13 mai 2018

La maladie de la mort. Katie Mitchell.

Retrouver les mots de Duras dans une histoire élémentaire forcément  essentielle:
un homme qui n’a jamais connu l’amour paye une femme pour venir dans sa chambre d’hôtel.
« Vous devriez ne pas la connaître, l'avoir trouvée partout à la fois, dans un hôtel, dans une rue, dans un train, dans un bar, dans un livre, dans un film, en vous-même, en vous, en toi, au hasard de ton sexe dressé dans la nuit qui appelle où se mettre, où se débarrasser des pleurs qui le remplissent. Vous pourriez l'avoir payée. Vous auriez dit : Il faudrait venir chaque nuit pendant plusieurs jours.
Elle vous aurait regardé longtemps, et puis elle vous aurait dit que dans ce cas c'était cher. »
Je ne suis pas sûr d’avoir entendu cette introduction dans son intégralité, de la part de la narratrice placée sur la scène de la MC 2 dans une cabine au coin d’une chambre d’hôtel au dessous d’un grand écran.
Mais ce jeu avec les mots, subtil, élémentaire, où leur incandescence côtoie la dérision est parfaitement restitué et réactivé par un dispositif scénique qui mêle porteurs de micro et de caméras aux beaux acteurs.
Mon plaisir brut de mâle voyant une belle femme sur des talons et nue la plupart du temps a été perturbé par cette escouade de silhouettes en collants qui amène les images des corps fragmentés sur l’écran noir et blanc. J’avais donc pu sans vergogne me laisser conduire par ma femme à un spectacle de femme à poil. Il était d’un autre ordre que les strip-tease sous chapiteau de la foire de Beaucroissant dont on n’évaluait pas le côté sordide mais qui nous faisaient fantasmer à l’adolescence.
Le titre avait déjà de quoi nous refroidir bien que le sujet devienne familier et pas seulement au théâtre http://blog-de-guy.blogspot.fr/2018/03/la-danse-de-mort-august-strindberg.html.
Le spectacle est gonflé, en particulier dans la période, où les pourvoyeurs en charcuterie sont dans le coli mateur,  dur, dérangeant et en même temps presque naïf, soulevant des questions essentielles sans avoir l’air d’y toucher.