mercredi 4 avril 2018
Marche ou rêve. Laurel Elric.
Le titre reprenant le bel intitulé de l’émission culte de Claude Villers où intervenait Nicolas Hulot laissait présager une certaine poésie soulignée en couverture par un jeune garçon aux cheveux longs assis en haut d’un arbre. Les dessins sont précis, les couleurs suaves conviennent bien à une Bretagne rêvée, mais ce récit du passage de l’adolescence vers un âge adulte est inabouti et superficiel.
J’avais emprunté l’album au rayon BD adulte alors qu’il aurait du figurer à l’étage « jeunesse » tant la thématique peut les concerner et la naïveté les rassurer sans qu’une once de subtilité n’apparaisse. Nous restons dans le ton initial monocorde et gentillet alors que le charmant garçon ayant connu une panne sexuelle va une semaine chez sa grand-mère où une série de révélations, d’évènements vont lui couler dessus comme crachin sur les plumes d’un cormoran. Il pleut en Bretagne et les grands-mères se plaignent que les petits ne viennent pas assez souvent les voir. Les clichés s’égouttent, bien que ne soient pas ménagées les péripéties : père violent, demi frère suicidaire, filles qui tombent comme mouches ... l’indifférence est de mise. Les personnages inexpressifs reflètent après tout une époque à la fois désinvolte et agitée. Les animaux bénéficient d’une tendresse dont les humains sont plus chiches entre eux. Nous restons froids en face de ses êtres insensibles, traités tellement pudiquement qu’ils sont sans profondeur.
mardi 3 avril 2018
La délicatesse. Cyril Bonin.
La tendresse et la gentillesse sont bien présentes dans ces
95 pages inspirées par le roman de David Foenkinos qui avait suscité également
une adaptation cinématographique avec Audrey Tautou.
Une jeune femme est abordée dans la rue par
un jeune homme : à l’heure où ne se voient balancer pas que des porcs, la
situation ne parait pas très correcte.
D’autant plus que de cette rencontre va
naître une paisible histoire d’amour.
Un brin de romantisme, des couleurs pastel
font du bien quand ricanements et gros traits deviennent envahissants.
Je ne divulgue pas les péripéties à la suite d'une introduction qui a le charme des romans photos de jadis.
Le deuil, les relations au travail sont
finement traités, comment se joue la séduction.
« Il
pensa qu’il ne l’avait jamais vu le soir. Il était presque étonné qu’elle
puisse exister à cette heure là. »
lundi 2 avril 2018
The rider. Chloé Zhao.
Le cow-boy est blessé gravement. Il ne reviendra pas sur la piste des rodéos où une fulgurante ruade lui a fracassé le crâne. Il reprend son métier de dresseur de chevaux avec lesquels il utilise les mots adéquats, sans être guère bavard, comme avec sa sœur atypique. Pendant ce temps, son père dépense son argent dans des machines à sous. Il visite son pote des rodéos, tétraplégique, qui fut au sommet de la beauté, de la maîtrise comme l’attestent des vidéos qu’ils regardent ensemble.
La réalisatrice en immersion comme dans son magnifique
premier film « Les chansons que mes frères m’ont apprises»
nous donne à voir, avec sensibilité, mais sans pathos, des
protagonistes jouant leur vie, cassés pour quelques secondes en apesanteur,
devant des publics faméliques.
Dans cet univers en voie de marginalisation, les chevaux
sont aimés, les dresseurs sont attentifs, fins, pertinents, courageux et doux.
J’ai été soulagé de voir le héros diminué renoncer à mettre sa vie en danger
alors qu’une voisine de salle obscure regrettait qu’il ne poursuive pas ses
rêves.
Les beaux mots romantiques doivent-ils condamner à la
mort ? Non !
Surtout si c’est pour une image de soleil couchant,
rougeoyant, accompagnée de quelques émouvantes notes de musique, oubliée le
temps de s’engouffrer à Cannes dans une autre file d’attente promettant un film
marrant.
dimanche 1 avril 2018
George Dandin. Molière. J.P. Vincent.
Nous rageons avec Dandin quand la vérité s’acharne à se
cacher. La farce a tourné à la tragédie truculente où l’amour est absent.
Nous compatissons à la détresse du paysan ivrogne, malin, de bonne foi, trompé et méprisé.
Nous ne sommes pas du côté de la jeune femme mariée par intérêt à un nouveau riche, même si elle est brutalisée: « Je vous déclare que mon dessein n'est pas de renoncer au monde, et de m'enterrer toute vive dans un mari. »
Nous compatissons à la détresse du paysan ivrogne, malin, de bonne foi, trompé et méprisé.
Nous ne sommes pas du côté de la jeune femme mariée par intérêt à un nouveau riche, même si elle est brutalisée: « Je vous déclare que mon dessein n'est pas de renoncer au monde, et de m'enterrer toute vive dans un mari. »
La langue du XVII° est délicieuse et l’enjeu de l’actualité
pour chaque représentation d’une pièce patrimoniale, parfaitement résolu.
Pas de folklore historique ni d’affèterie moderniste, un déroulement limpide dans des décors simples et efficaces, quelques images bien éclairées situent le contexte, entre les paysans des frères Le Nain et fantasmes versaillais, la distance entre classes sociales est exaspérante.
Les acteurs sont excellents malgré un chanteur peu convaincant dont on ne comprend pas les paroles
Pas de folklore historique ni d’affèterie moderniste, un déroulement limpide dans des décors simples et efficaces, quelques images bien éclairées situent le contexte, entre les paysans des frères Le Nain et fantasmes versaillais, la distance entre classes sociales est exaspérante.
Les acteurs sont excellents malgré un chanteur peu convaincant dont on ne comprend pas les paroles
« - Parbleu, si
vous m'appelez votre gendre, il me semble que je puis vous appeler ma
belle-mère.
- Il y a fort à dire,
et les choses ne sont pas égales. Apprenez, s'il vous plaît, que ce n'est pas à
vous à vous servir de ce mot-là avec une personne de ma condition ; que tout
notre gendre que vous soyez, il y a grande différence de vous à nous… »
Les intentions du metteur en scène coïncident parfaitement
avec ce qui est montré.
Quand le paysan triture sa perruque, on saisit bien l’embarras de Monsieur de La Dandinière, parvenu de fraîche date. Le veule beau père qui surenchérit sur la bêtise de sa femme porte à la fois le ridicule et le pathétique de cette comédie où le suicidaire ne peut sauter que dans un puits comblé. Floc !
Quand le paysan triture sa perruque, on saisit bien l’embarras de Monsieur de La Dandinière, parvenu de fraîche date. Le veule beau père qui surenchérit sur la bêtise de sa femme porte à la fois le ridicule et le pathétique de cette comédie où le suicidaire ne peut sauter que dans un puits comblé. Floc !
samedi 31 mars 2018
Alias Caracalla. Daniel Cordier.
Prendre le nom que lui avait accordé Roger Vaillant dans son
livre « Drôle de jeu », comme titre de cet
imposant témoignage historique, insiste sur la dimension romanesque du destin
de Daniel Cordier qui porta bien d’autres noms.
Engagé à 18 ans dans la France libre, il faut bien 1144
pages pour décrire l’évolution personnelle qui mène le jeune admirateur de
Maurras au secrétariat de Jean Moulin, et à travers les péripéties vécues parmi
les membres éminents de la résistance, mesurer à quoi tient le destin d’une
nation.
En entendant en juin 40 Pétain demander de cesser le
combat, l’indignation du jeune homme va le conduire vers des responsabilités
énormes telles que les portaient les révolutionnaires de 89 :
« Les boches seront
impuissants si quarante millions de français se lèvent contre eux. Il faut
soulever le pays d’une fureur sacrée, l’organiser et combattre. »
Les termes employés sont obsolètes et les restituer ainsi
ajoute à la sincérité du récit :
« Ma patrie, l’orgueil
de ma vie, la gloire de l’univers, désignée par Dieu pour défendre sa foi, pour
répandre la civilisation, modèle du genre humain… »
Il ne reverra pas sa famille, une fois revenu en France
après sa formation en Angleterre,
clandestin exilé dans son propre pays.
« Je contrôle
tous les courriers, la liaison avec Lyon (il est alors à Paris), les transmissions avec Londres, les codes
et surtout, le magot. »
Si l’on peut se perdre dans la profusion des personnages
rencontrés aux identités masquées, des permanences de comportements politiques
ont traversé le siècle :
« Le
trotskisme : Un militant c’est un parti ; deux : un
congrès ; trois : une scission »
Et si les stratégies des mouvements politiques peuvent
sembler dérisoires en ces heures qui ne paraissaient sombres qu’à une minorité,
elles préparaient la Libération, ce ne fut pas facile. Moulin qu’il ne connut
alors que sous le pseudo de Rex disait :
« Les français
ne changeront jamais ! Même dans les situations désespérées, ils sont
incapables de s’unir. Les Allemands sont à Marseille, Pétain à Vichy, Giraud à
Alger, De Gaulle banni à Londres, et les mouvements se comportent comme si nous
avions déjà gagné pour établir leur pouvoir »
vendredi 30 mars 2018
En progrès.
J’ai hésité, en ces jours plombés, à publier mon article tel
que je l’avais préparé avec un ton quelque peu décalé, et puis finalement
Jaurès, même redécouvert à l’occasion de France - Angleterre de rugby, conviendra :
« Il ne faut
avoir aucun regret pour le passé, aucun remord pour le présent, et une
confiance inébranlable pour l’avenir.»
L’idée de progrès n’en finit pas d’être mise en question, Jaurès
a été assassiné à la veille de la première guerre mondiale. Mais il a fallu
encore bien du sang dans le dernier siècle pour que les utopies totalitaires se
calment alors que d’autres s’incrustent et « que nous regardons ailleurs ».
Il était banal de repérer la distance entre les progrès techniques et les
perfectionnements humains mais l’un impacte l’autre, sans aller forcément vers
le mieux. Quelques hallucinés moyenâgeux peuvent avoir le portable « dernier
cri » à l’oreille.
Le poids des traditions s’est allégé et la technique nous a
libérés de bien des taches répétitives. Mais nous voilà sous la coupe d’autres
contraintes qui ont transformé nos rapports au monde et nos personnalités. Nos
grands parents avaient connu l’arrivée de l’électricité et de l’automobile, quant
à ma génération, avons-nous pris la mesure de la révolution de
l’information ?
Et au-delà des machines à café, les bestioles que nous
sommes qui ne manquent pourtant pas de vitres où se mirer, se sentent mal. « La vaporisation de soi dans un monde
sans limite » dans le magazine « Lire » à propos de la crise
de la psychanalyse dit bien l’ivresse contemporaine, notre évanescence et la
difficulté de cerner les problèmes.
Faut-il remiser sur une étagère le kaléidoscope où se
superposent images et mots qui affolent nos raisons ? Et prendre ses
croquenots pour s’en aller sur les pentes ou sur les boulevards?
C’est alors que le mot « En Marche » ressort. La
marque déposée se fait secouer dans l’exercice du pouvoir, mais persiste à
désigner l’énergie, le courage, voire « one step » pour aller
vers le haut. Notre pays est gouverné, par celui qui ne confond pas La France
et un parti politique, prenant en compte la diversité de ses opinions, redonnant
à notre pays un rôle ambitieux dans le concert discordant des nations.
A titiller les métaphores galopantes, reviennent des images
de chevaux ferrés à l’envers pour tromper les poursuivants, valables pour les
« Marcheurs » comme pour leurs opposants, tant les directions semblent
brouillées.
Qui est le plus rétro ? Marcheurs contre Marchais,
tchatcheurs contre Thatcher ?
Je ne suis plus, de ces contemplatifs des grands soirs dès
le matin, ni de ces preneurs de palais d’hiver chaque printemps; j’en fus.
L’inépuisable : «Il
faut que tout change pour que rien ne change
! » du Guépard désigne quels conservateurs? Ce qui donne en version Lacan: « La répétition demande du nouveau .»
Et tant qu’à miser sur les mots, j’aime
revenir sur l’insistant « en même temps », honnête lorsqu’il évite
d’être paralysant. Il porte nos ambivalences, Mr Hyde double face,
gentil/méchant,
« La tendance la
plus profonde de toute activité humaine est la marche vers l'équilibre. »
Piaget.
A jouer sur la focale, passant du local au général, de
l’anecdotique à l’acrobatique, le perroquet en a les plumes ébouriffées.
Dans un monde où les clameurs populistes montent, nous ne
sommes pas si mal chez nous avec nos plaintifs coutumiers, nos batailles aux
décors en carton mais nous savons reprendre une pinte d’estime de nous mêmes à
voir notre pays dans le regard des autres locataires de la planète.
Je me sens moins seul dans mon ignorance crasse en économie,
tant les commentaires sont rares en cette matière, mais il me semble qu’il y a
de la reprise dans l’air, que le chômage cesse d’augmenter et que le déficit
public se réduit : ce n’est pas rien, non ?
……………
En tête un dessin de « Charlie » et ci-dessous Plantu
du « Monde ».
jeudi 29 mars 2018
Les papes Médicis. Serge Legat.
A la suite de Jules II, malgré des temps furieux, deux papes cousins, vont prolonger leur engagement envers les arts, ce qui justifie le titre du cycle de conférences devant les amis du musée « Fastes et splendeurs de Rome sous les papes de la Renaissance » par Serge Legat (du pape).
Léon X.
Giovanni de Medicis (1475-1521) fut souverain pontife
pendant 18 ans sous le nom de Léon X.
Il est le second fils de Laurent
le Magnifique dont le buste en terre cuite de Verrocchio, le maître de Léonard
de Vinci, est saisissant.
Il figure sur la Confirmation de la règle franciscaine de Ghirlandaio, maître de Michel Ange, avec au premier plan, Pierre son frère aîné. Celui-ci surnommé « Le
malchanceux » ou « Le fat »devint maître de Florence mais devra fuir la ville. Giovanni,
préparé très tôt pour une carrière ecclésiastique, reçoit le chapeau de
cardinal à 13 ans. Cette scène religieuse parasitée par les puissants de
l’heure fournira des arguments à un Savonarole qui ne voyait pas d’autre
glorification que celle de Dieu.
Peint par son triomphant
surintendant artistique, Raphaël, Léon X, sous son camail, est accompagné
de deux conseillers, dont Jules de Médicis, le futur Clément VII. Grand protecteur des arts possédant
une bibliothèque exceptionnelle, le gourmand esthète, dont quelque
flatteur disait : « Après
César, Auguste règne » eut des funérailles très modestes en contraste avec les
fastes qu’il déploya. Les offices multipliés et les indulgences devenues
monnaie courante ont alimenté l’opposition frontale avec la religion réformée. Il ne voulut pourtant pas exacerber la lutte avec eux et juste au moment de la cassure du monde
chrétien, lorsque Luther est excommunié pour avoir brûlé la bulle papale
dénonçant ses erreurs, sa sainteté meurt . Les problèmes religieux sont imbriqués avec les tracas
politiques.
Le diable est en face du pape entouré par Henri
VIII (à gauche) et Charles
Quint (à droite).
Raphaël, « Le maître de Rome » très
sollicité, représente dans « la chambre de l’incendie » un autre
Léon, Léon IV, éteignant L’incendie du Borgo d’une
bénédiction. L’élégante et puissante porteuse d’eau sera souvent citée par ceux qui
pensèrent comme Vasari: « Quand
Raphaël mourut, la peinture disparut avec lui. » http://blog-de-guy.blogspot.fr/2013/01/raphael-un-genie-de-la-renaissance-c-de.html
.
Il meurt épuisé à 37 ans. Ses élèves ont pris la relève au
Palais apostolique du Vatican. Dieu sépare la terre et les eaux dans la loge dite de Raphaël
où des « grotesques » copiés de l’antique apparaissent. C’est de ce
temps là que date le mot quand un jeune romain crut tomber dans une "grotte" aux
motifs surprenants : c’était la « Maison Dorée » ensevelie,
celle de Néron.
Clément VII.
Julien de Médicis dont le portrait a été exécuté par Botticelli, n’a pas survécu au
complot des Passi. Le fils qu'il avait eu avec sa maîtresse devint pape
sous le nom de Clément VII (1478-1534) après le pontificat très
court (1522-1523) du plus vertueux des papes, Adrien VI, mais aussi le plus
détesté : il n’était pas italien.
Avec Clément VII, ici par Sebastiano
del Piombo, peu préoccupé de théologie, qui a été conseiller
de son cousin, le luxe et les artistes reviennent. Mais son pontificat fut
dramatique avec l’hémorragie des fidèles anglais suivant leur souverain Henri
VIII dans sa séparation avec l’église
catholique suite au refus du pape d’annuler son mariage.
Il eut fort à faire
aussi avec Charles Quint (par Rubens). Il s’allie avec François 1er qui a été fait prisonnier à
Pavie, mais le Charles V en question, de l'empire romain germanique, dit Charles II en
Bourgogne et Charles Ier en d'Espagne, va encourager les Colonna,
rivaux des Médicis, à envahir Rome pour se poser en sauveur après avoir humilié
le pape, obligé de se réfugier dans le château Saint Ange et qui devra le
couronner empereur.
La population de Rome va passer de 50 000 personnes à
10 000 sous les coups horribles d’une armée composée de lansquenets
allemands et de troupes espagnoles et italiennes : c’est à nouveau
un abominable Sac de Rome,
(Francisco J.
Amérigo ) qui va durer un an jusqu’à une épidémie de peste. La
Renaissance est morte.
Parmi quatre cents personnages, le Christ du Jugement
dernier que Michel Ange a réalisé pour le mur de l’autel de
la chapelle Sixtine, condamne l’humanité d’une main vengeresse malgré
l’intercession de la vierge et de Marie Madeleine. Le maniérisme ne laisse plus
d’espace. Le pape défendra cette vision douloureuse mais ne verra pas achevée
l’œuvre qu’il avait commandée.
Et malgré les repeints de pudeur de Daniele da Volterra « Il Braghettone» et les
attaques très dures de la curie, la « Terribilita’ » nous est
parvenue. Merci seigneur !
« La Renaissance
ne se présente pas comme un progrès continu. La beauté y a constamment côtoyé
la cruauté, et l'ombre la lumière. » Jean Delumeau
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