dimanche 11 mars 2018

Artefact. Joris Mathieu.

Les spectateurs, casque sur les oreilles, divisés en trois groupes sont invités à s’asseoir à tour de rôle face à des prismes vitrés dans lesquels oeuvrent deux imprimantes en relief pendant que se projettent des images et des dialogues avec des ordinateurs programmés en« agent conversationnel », lors de « chatbot ».
Le dernier pôle où nous devons nous diriger se situe devant un bras articulé qui pose différentes pièces sur une table dont les silhouettes ont été rencontrées sur les deux stands précédents : chien qui hurle à la lune, un arbre, homme et femme figurants d’un monologue shakespearien. Le bras robotique secoue un Tupperware rempli de sucre mimant de la neige après avoir été programmé à hésiter et à agir lentement pour accentuer une allure plus proche de l’humain.
« Que devient le blanc quand la neige a fondu ? »
L’esthétique rétro futuriste fait penser aux années soixante qui portaient alors des rêves optimistes. La musique accentue une atmosphère mystérieuse.
Ces dispositifs inhabituels se closent par une discussion avec le metteur en scène et c’est alors que le public revenu dans ses gradins habituels applaudit. Il faut dire que la voix séraphique qui nous avait accompagnés pendant 50 minutes nous avait, gentiment, malmenés, ne serait ce qu’en nous laissant décider de nous lever. Cette conclusion, où les humains se retrouvent avait une saveur différente des discussions habituelles à l’issue d’un spectacle, elle m’a semblé partie intégrante d’une interrogation sur notre place face aux machines et notre disparition, la place du théâtre. Le mot « robot »  est apparu pour la première fois dans une pièce de science fiction tchèque. L’« artefact » est un objet fabriqué par l’homme, pas naturel. Tout se redéfini.
D’avoir navigué sur un plateau de théâtre de la MC2 sous les voyants rouges clignotants et les lumières bleues chirurgicales, frôlé les cornières d’aluminium et les rotules de fonte, dans l’intimité d’un casque qui arrivera bientôt pour notre confort dans des salles de spectacles où nous réglerons le son à notre guise comme déjà des guides en usent dans les musées, j’ai retrouvé avec plaisir mes frères humains bavards, contents d’eux, si pathétiquement imparfaits et découvert la compagnie  «Haut et court » novatrice et stimulante.

samedi 10 mars 2018

Le Bestial Serviteur du pasteur Huuskonen.

Avec les ingrédients habituels chez Arto Paasalinna : personnages typés, nature, loufoquerie, voyage… nous est servie une histoire agréable où des questionnements sur le sens de la vie ne se prennent pas au sérieux.
« Dans l’allégresse générale, on présenta l’offrande au pasteur Huuskonen. Celui-ci n’avait aucune idée de se que contenait le panier, mais quand il eut défait les rubans de soie, le mystère fut levé. De la petite fenêtre surgit un bout de truffe humide. La pastoresse gémit : « Par les cornes de Belzéb… » 
Ainsi sera nommé « Belzèb » l’ourson qui vient d’être offert au pasteur dès le début d’aventures au parfum d’enfance qui n’interdisent aucune interprétation mythologique voire spirituelle.
En guise de résumé au trois quart du livre qui comporte 307 pages :
« L’opératrice radio songea qu’elle s’était vraiment trouvé un drôle d’amant, un homme comme on en fait peu : un prêtre finlandais défroqué, arrivé dans l’île avec un ours qui dansait et faisait des signes de croix dans la boîte de nuit d’un paquebot- et voilà qu’en plus il avait trouvé moyen de s’installer chez elle et tentait de prendre contact avec des extraterrestres. »
En toute candeur, douce excentricité, la bestialité s’apprivoise.

vendredi 9 mars 2018

Le Postillon. Février- mars 2018.

Le 20 pages bimestriel de la région grenobloise consacre sa une au « Management bienveillant : attention les yeux» sous une iconographie genre Newsweek des années 50 redondante puisque les yeux du môme en couverture sont découpés. Plus heureux est un détournement d’un personnage du romantique Friedrich qui contemple la mer de nuages au dessus de notre ville « apaisée ».
Les persistants adversaires de la novlangue développent en pages centrales leurs griefs contre « le management bienveillant, école de l’hypocrisie » : « C’est ceux qui en parlent le plus qui en font le moins. »
D’autant plus que Loïc Roche le directeur de l’école de management de Grenoble (GEM) est le promoteur du concept et que sa candidature à la mairie en 2020 aurait été suggérée par Jérôme Safar, tête de turc historique du journal.
Un qui devait s’attendre à une place de choix sur l’estrapade, c’est bien Olivier Veran, député de REM sans doute trop en vue, qui ne peut être que de mauvaise foi d’après le libertaire folliculaire anonyme lorsque ses interventions ne sont pas attaquables sur le fond.
Les pages consacrées à l’hôpital désormais CHUGA (CHU-Grenoble Alpes) sont cependant bienvenues.
Le débusquage du double langage est certes indispensable à condition de ne pas en user soi même en faisant la fine bouche devant les méthodes de ceux qui ont mis le feu à la Casemate car jugées inefficaces tout en étayant dans un long article tous les griefs qui peuvent être adressés au centre culturel et scientifique.
Incendier un lieu public est inadmissible et ironiser autour d’un hommage à Johnny « allumez le feu » malvenu.
Il y a quelques contradictions à regretter les constructions à Echirolles et en même temps le mitage des campagnes par les lotissements et des interrogations à nourrir après les compliments de Denis Bonzy ancien directeur de cabinet de Carignon : 
« Un mélange d’impertinence, de contre culture, de provocations, de qualité de faits trouvables nulle part ailleurs… »
L’approbation de cet avis par le supporter de Macron que je suis va accroître leur mauvaise conscience.
Quand ils redonnent la parole à Marion Messina auteur d’un alléchant roman « Faux départ », dont les propos avaient été repris jadis par des blogs identitaires, ils sortent de leur périmètre de confort qui nous lasse lorsqu’il est à nouveau question de caca sur une page entière alors que l’historique du traitement des « boues et des os » au XIX° siècle est instructif.
De même que la dénonciation d’une maxi arnaque concernant une micro centrale électrique dans le Grésivaudan a pu aller à l’encontre de leurs convictions aux roots deap écologiques.
Pas de reportage insolite cette fois, mais une discussion intéressante avec Aurélien Delsaux auteur de « Sangliers » qui se situe dans la Bièvre, territoire périphérique exotique pour les habitués de la Place Saint Bruno.
…………….
L’illustration de tête est scannée depuis ce numéro du Postillon et le dessin ci-dessous est du « Canard enchaîné » de la semaine.

jeudi 8 mars 2018

Hans Hartung. Thomas Schlesser.

Sous l’autoportrait réalisé à 18 ans par un des acteurs majeurs de la peinture abstraite, le conférencier, directeur de la fondation Hartung-Bergman cite devant les amis du musée de Grenoble, un extrait d’ « Autoportrait », le livre:
« Mes dessins étaient traversés de traits entortillés, étranges, embourbés, désespérés comme des griffures […] C’était une peinture véhémente, révoltée. Comme moi-même. J’avais le sentiment d’avoir été floué. À part quelques Français qui avaient été mobilisés, les autres peintres avaient tous passé la guerre réfugiés quelque part. Ils n’avaient cessé de travailler, de progresser. » 
Engagé dans la légion étrangère Hartung a perdu une jambe.
Malgré ce sentiment de défaite intérieure, il intégrera l’histoire de l’art dans la deuxième partie de sa vie. Aujourd’hui, sa notoriété a été dépassée par celle de son élève Soulages, mais un processus de redécouverte serait à l’œuvre.
Hans Hartung et son télescope. Né en 1904 à Leipzig, la ville du romantique Friedrich, dans une famille de la bourgeoisie protestante, ses aspirations sont diversifiées : sportif, il hésite à devenir pasteur. Très marqué par les techniques de l’optique, il fabrique son propre télescope et aussi un appareil photographique. Comme Andy Warhol avec son polaroid, il enregistre la réalité en permanence jusqu’à devenir compulsif  pour confirmer ses intuitions de peintre et non pour développer une œuvre sur un autre support. 
T 1936-2, son œuvre est minutieusement répertoriée, mentionnant l’année et l’ordre chronologique.
Sa singularité visionnaire émerge dès 1920 : son langage est gestuel, pas symbolique comme chez Kandinsky où le triangle est jaune, le carré rouge. La pulsion de ses traits ne prétend pas à une authenticité comme chez les surréalistes. Il va chercher une voie plus sèche, abrupte, plus « pure », sans séduction visuelle. L’option n’est pas celle d’un Mondrian qui par le biais de la géométrie tend vers une perfection formelle pouvant rejoindre les arts décoratifs.
Il est difficilement assimilable à d’autres artistes à part peut être Miro qu’il fréquenta. Il hésite à un moment, séduit par les expressionnistes ou Picasso, mais il choisit de poursuivre ses traces éparses, ses enregistrements du hasard, ses graphies improbables qui s’enchevêtrent.
Il fuit Berlin et après un passage à Paris, s’installe aux Baléares avec sa jeune épouse Anna-Eva Bergman. Revenu à Paris, en 39, l’Allemand est parqué dans le stade de Colombes. 3 mois après il s’engage dans la légion étrangère. Démobilisé après l’armistice, il revient d’Afrique du Nord, en zone libre dans le Lot, accueilli par le sculpteur Julio González dont il a épousé la fille Roberta. Après l’occupation du sud de la France, il traverse les Pyrénées où il est emprisonné dans les geôles franquistes. Après sept mois de captivité, il revient comme brancardier dans la légion étrangère ; gravement blessé, il devra être amputé d’une jambe. Il s’inquiète alors surtout de ses dessins perdus.
Ayant usé de différentes identités : Jean Gauthier puis Pierre Berton pour la légion, voire Jean Hartung, il obtient la nationalité française, et reprend le fil de son travail avec la même « spontanéité calculée ».
Dans un premier temps il se laisse aller à des gestes intuitifs puis agrandit ses traces « au carreau », très rigoureusement.
Parfois dans les fiches méthodiques de ses œuvres, il donne des surnoms, ainsi « La prison » dont je n’ai pu retrouver les noirs barreaux saturant la toile, matérialise un destin individuel pénétré par l’histoire. En 1952, reconnu comme «  chef de file de l’art informel » et «  précurseur de l’action painting », décoré, il expose beaucoup et retrouve Anna-Eva Bergman  avec laquelle il se remarie.
Il multiplie les  procédés avec le grattage, les outils : sulfateuse et pistolet à peinture. Il renouvelle ses moyens d’expression mais reste cohérent. Il s’en tiendra contre vents et marées à la force du geste depuis des taches, des formes simples et dérisoires. Faisant accéder l’anecdotique au monumental, l’individuel à l’universel.
Il meurt, l’année de la chute du « mur », deux ans après la femme de sa vie.
Sa maison d’Antibes est devenue la fondation Hartung-Bergman, accessible sur rendez-vous
 « Pour l'enfant, amoureux de cartes et d'estampes,
L'univers est égal à son vaste appétit.
Ah ! Que le monde est grand à la clarté des lampes !
Aux yeux du souvenir que le monde est petit ! ».  
Baudelaire, dont on ne se lasse pas.

mercredi 7 mars 2018

Les splendeurs d’Ispahan. Issa Steve Betti.

Bonne révision de moments inoubliables dans cette ville à laquelle ce blog a consacré plusieurs articles http://blog-de-guy.blogspot.fr/search?q=Ispahan+J+9
L’exposé du conférencier préparant une prochaine visite de ce joyau de l’humanité devant les amis du musée de Grenoble a commencé par un tableau d’ Antoine Coypel : Louis XIV reçoit l'Ambassadeur de Perse en 1715, dernière mise en scène brillante d’un roi en putréfaction.
Watteau avait peint  Mohammed Reza Bey, l’ambassadeur, et des personnages de sa suite qui étonnèrent la cour.
Il était envoyé par le sultan Hossein, le dernier des Séfévides ou Safavides qui régnèrent depuis le XVIe siècle sur l’Iran et au-delà sur une partie du Béloutchistan, Turkménistan, de l’Irak, de la Georgie, de l’Arménie, touchant à l’empire Ottoman et à l’Arabie heureuse (Yémen). Carte de Pieter Van der Keere 1610.
Le berceau de la dynastie fut à Ardabil où se trouve le mausolée du fondateur Cheikh Safi al-Din, un soufi. Sur la route de la soie, ces ascètes vêtus de laine avaient fait vœu de pauvreté, le mot « derviche » désignait un pauvre.
Dans le mausolée Harun Velayat datant de 1513, le prophète entouré de ses fils est représenté voilé. Les Sunnites seront fidèles à la tradition, les chiites à la famille de Mohamed. Ismail 1° se fait couronner Shah et déclare le chiisme religion d'État.
Nous sommes au XVI° siècle, Soliman le magnifique domine alors la région, mais lorsqu’il meurt, son fils Selim, l’ivrogne, n’est pas à la hauteur.
En 1598, Chah Abbās Ier a déplacé sa capitale à Ispahan  au centre de son empire pour mieux se protéger des appétits ottomans.
 La ville avait pourtant connu le massacre de 70 000 personnes par Tamerlan venu de Samarkand deux cents ans auparavant.
Le cinquième de la dynastie développe la ville autour de l’axe Chahar bagh (les quatre jardins) la première avenue du monde.
Il s’allie avec le grand Moghol souverain de l’Inde dont il reçoit l’ambassadeur un verre de vin à la main.
La rivière Zayandeh, (la rivière féconde) enjambée de ponts vieux de plus de cinq siècles traverse la ville qui se considère comme « la moitié du monde ».
La place Royale (Maydān-e Chāh), une des plus grandes du monde, devenue place de l’Iman, dessinée sur cette estampe par Pascal Coste, mesure plus de 500 m de long sur 160 m de large. Là se déroulaient des parties de polo, invention persane. Elle est bordée de boutiques à arcades où « Les miniatures représentant des oiseaux sont plus chères que des oiseaux ».
Sur les côtés, la mosquée de l'Imam, celle du Cheykh Lotfollah, dont les pishtaks, portes monumentales alvéolées ne donnent pas directement sur la salle de prière pour respecter l’orientation du mihrab (niche) en direction de la Mecque.
Quatre iwans, arcs de maçonnerie en saillie, s'ouvrent sur une cour avec bassin à ablutions et conduisent à l’une des deux madrasas (écoles).
Depuis les briques et les stucs, les mosaïques et les carreaux de céramique (1/2 million sur la mosquée de l’Imam), les bandeaux épigraphiques, les calligraphies ascensionnelles, rinceaux et pampres, arbres de vie, le bleu et les ocres clairs que l‘on retrouve sur les tapis d’Ispahan, l’architecture persane multiplie les symboles autour du paradis dont l’étymologie vient de l’avestique langue des mages Zoroastriens (jardin fermé) : on voit le reflet d’Eden dans l’eau des bassins. Le Taj Mahal a été influencé par ce style.
Le bazar immense ville dans la ville où le travail du métal était confié à des chrétiens nestoriens et le palais d’Ali Qapu témoignent de cette splendeur mise à mal par les afghans  au XVIIIe siècle.
Robert Shirley, peint par Van Dyck, partit d’Angleterre jusqu’en Perse et revint en Europe en ambassadeur d’ Abbas Ier le Grand.
Le palais Hacht-Behecht ou celui  de Chehel Sotoun, aux « quarante colonnes » en comptant leur reflet, comportent des fresques magnifiques d’une liberté inattendue.
Esther, la belle juive, dont Rembrandt peignit le festin décisif, sauva son peuple du massacre, elle est célébrée lors de la fête de Pourim. Son mausolée est à Hamadan, la ville du philosophe Avicenne. Une communauté israélite, l’une des plus importante en terre d’islam, peut pratiquer sa religion, mais les difficultés sont grandes.
Des fresques concernant « Le Jugement dernier », « La Passion » sont en évidence entre les murs de la Cathédrale Saint-Sauveur dans le quartier arménien de Jolfa.
Dans ce pays où 50 % de la population a moins de 30 ans, espérons que les ponts de la troisième ville d’Iran avec son million et demi d’habitants ne soient pas qu’une métaphore.

mardi 6 mars 2018

Canicule. Baru.

Efficace mise en planche du roman policier de Vautrin.
Au village aussi l’on a de beaux flingages.
Baru très suivi par ici nous régale encore par ses traits dynamiques, ses dialogues minimalistes, ses découpages punchy.
Pas besoin de longs discours pour caractériser un univers où  règnent la haine, la violence et la folie. Dans le champ d’à côté un bandit américain a enterré un magot.
Les corps et les têtes ont chaud, les flingues vont refroidir quelques ardeurs.
Le noir sous le soleil ne perd rien de sa stridence quand l’animalité bat la campagne.
Point de torpeur Beauceronne, tout si va vite. Le maître de la description sociale en multipliant les angles flashe tout un monde en 110 pages.
« Grouiii ! »

lundi 5 mars 2018

Mariana (Los perros. les chiens). Marcela Said.

Vu pendant la semaine de la critique à Cannes sous un meilleur titre, « Los perros » pour une fois pas en anglais.
Quarante ans après la dictature de Pinochet qui dura 17 ans, l’histoire d’un dévoilement se développe autour du désir d’oubli symétrique de l’expression très usitée : « devoir de mémoire ».
Une jeune bourgeoise désoeuvrée se retrouve confrontée au passé de son maître d’équitation qui  fut sous les ordres de son propre père. Il devra rendre des comptes de ses responsabilités alors que le père, plus haut placé, est épargné. «  Les chiens » ce sont les exécutants des basses œuvres dans ces années 70 là. L’armée a le monopole du dressage des chevaux et il est difficile de ne pas voir sous des apparences d’une sensualité altière, le goût pour dresser, maîtriser, quand des sensations fortes éloignent de l’ennui des jours ordinaires. Le chien sans collier, roi de la maison, ne survivra pas.