mercredi 7 juin 2017

Vertiges de Quito. Didier Tronchet.

J’avais relevé dans XXI les épisodes du dessinateur ch’ti, père de Raymond Calbuth
en Bolivie
en Amazonie
 à Quito
Et j’ai relu ces chapitres augmentés dans un album de 120 pages qui m’a d’autant plus intéressé que je connais désormais un peu l’Equateur, ses montagnes, sa forêt, son océan.
Si les couleurs des images sont soignées, les dessins ne sont pas extraordinaires, mais leur banalité,  contribue à la modestie des témoignages qui peuvent sembler plus proches à condition d’être dans de bonnes dispositions comme je le fus, par la sympathie qui émane des membres de cette famille.
Les maladresses du narrateur, les naïvetés du fils, la détermination de la mère, le chat, rendent plaisant ce carnet d’un voyageur expatrié pendant trois ans au pays de la chicha, des indiens, des indigènes, du volley et du football.
Les rapports avec ses voisins dans la capitale de l’Equateur nous éclairent sur les singularités des équatoriens, sur celles de nos compatriotes et les nôtres.
Une confusion dans le linge confié à la laverie peut déboucher sur une aventure forte, alors après une traversée  mouvementée d’un lac salé grand comme deux départements français, le diable peut entrer dans la danse : nous sommes en Amérique latine. Le tour en Amazonie avec l’ambassadeur de France vaut aussi le détour.     

mardi 6 juin 2017

Géricault. F. Giroud & G. Mezzomo.

Depuis le naufrage causé par l’incompétence du capitaine de la frégate « La Méduse »  dont la mémoire est conservée grâce au tableau de Théodore Géricault, nous mesurons les enjeux politiques de cette période où les royalistes revenaient au pouvoir après Napoléon. Nous sommes en 1815. Pour laisser plus de place au capitaine dans les chaloupes, un radeau de fortune avait été confectionné pour 150 personnes dont il ne restera que 15 survivants.
L’horreur de cette tragédie fit beaucoup de bruits à l’époque, et le tableau de 7m sur 5 fut  bien mieux accueilli à Londres qu’à Paris.
Afin de réaliser cette œuvre immense, en plus de l’observation des agonisants, le peintre avait entassé des cadavres dans son atelier. Avec le temps les pigments ont noirci sur la toile imprégnée de bitume.
Le peintre au caractère entier eut une vie romanesque achevée dans la douleur, à 34 ans.
Si le personnage féminin qui sert de fil conducteur au récit est imaginaire, la belle espionne permet d’évoquer le romantisme de celui qui peignait aussi magnifiquement les chevaux.
La mélancolie, le spleen, « mal du siècle » l’avaient conduit à fréquenter les hôpitaux, « La hyène de la Salpêtrière ou La Monomane de l’envie » en est un témoignage frappant, détaillé dans un dossier bienvenu après une quarantaine de planches menées de main de maître.
« On ne grandit pas impunément dans la tourmente révolutionnaire, ni dans la France de Napoléon. Surtout lorsque derrière chaque bulletin de victoire, on voit des cadavres et des corps mutilés. »

lundi 5 juin 2017

L’amant double. François Ozon.

Le film annoncé chaud se révèle plutôt esthétisant et pour les histoires de jumeaux, « Faux semblants » de Cronenberg procurait quelques frissons de plus.
Oui Marine Vacth est belle, tellement belle que nous entrons dans l’effet Deneuve jeune, quand on la trouvait lointaine, filmée trop parfaitement, tellement élégante entre deux toiles immenses du palais de Tokyo dans ses couloirs blancs.  
C’est que nous sommes dans le milieu familier du cinéma français: psychanalystes, galeries d’art, appartements magnifiques et graphiques montées d’escaliers. Les décors sont gracieux, le scénario habile, la confusion entre réel et imaginaire intelligemment menée, mais la dualité explicitement montrée à travers la gémellité manque d’ambiguïté. Je préfère Renier chez les Dardenne que dans le XVI° et les chats empaillés finissent par devenir grotesques. Il y a tellement d’autres films.

dimanche 4 juin 2017

Emily Loizeau.

Quand à « L’heure bleue » à Saint Martin d’Hères, le piaf aux pieds nus dans sa robe blanche se mit à chanter en anglais, elle est franco-anglaise, je me suis senti étranger au lieu et au temps.
Et puis la musique aidant et quelques séquences dans ma langue m’ont remis dans le bain d’une atmosphère aquatique où il fut question d’un grand-père anglais âgé de 101 ans dont le bateau avait été coulé pendant la seconde guerre.
« Je voudrais être le fond de l'eau
Là où se couchent les bateaux
Là où se noie
Là où tu pleures
Là où tu ranges ta douleur »
Malgré certaines maladresses, elle a embarqué son public là où elle voulait l’entraîner, tantôt dansante et dynamique, tantôt rêveuse sur musiques planantes ou discordantes, pas ordinaires.
Cette variété peut nuire à la cohérence, mais lorsque j’ai compris les paroles, j’ai apprécié l’originalité du propos et la générosité de l’artiste bien que ses bavardages entre les chansons soient assez convenus dans le genre qui m’exaspère :
« - Alors Saint Martin d’Hères ça va ?
- So so, coussi coussa » j’avais envie de répondre.  
Je l’ai préférée en facétieuse qui a attendu les rappels pour :
« Quand je dors toute seule, je me dis Dieu ce serait bon
De partager mon lit avec un garçon
Quand je partage mon lit avec un garçon
Je me dis, dormir toute seule Dieu ce serait bon »
ou en jalouse :
« Je lui ferais bien mon potage
A la nitroglycérine
La bile et les glutamates
Se chamaillent dans ma rate
Je me dis ça à chaque fois
Je ne mangerai plus chinois »
Dans le ton d’ Isabelle Bazin qui avait assuré sa première partie :
«  Mieux vaut queutard que jamais ».

samedi 3 juin 2017

Civilisation. Régis Debray.

J’aurai bien corné chacune des 231 pages de la dernière publication de mon phare préféré; je me contenterai de quelques formules ramassées :
«Si l’Europe a partie liée avec le temps, l’Amérique a partie liée avec l’espace »
« L’attention que l’un porte aux espaces du dehors, l’autre la donne aux espaces du dedans ». C’est qu’il est question comme l’indique le sous titre de « Comment nous sommes devenus américains » et ce n’est pas triste.
Pourtant «  A l’heure où une Chine bien réveillée rachète nos centrales et nos aéroports, où un business-man indien donne son nom à nos hauts fourneaux, où le spectre de Mahomet se promène dans nos rues, où l’Amérique branle dans le manche, la question de savoir qui porte le pantalon dans le couple occidental peut sembler d’intérêt local et purement rétrospectif. »
Il met en agréable compagnie, les grands balayages historiques et les signes les plus menus comme Halloween qui a remplacé la Toussaint et donne à retenir quelques définitions fortes :  
« Une culture est célibataire, une civilisation fait des petits. »
« Une civilisation agit, elle est offensive. Une culture réagit, elle est défensive. »
Alexandre Le Grand est l’homme d’une civilisation, Périclès d’une culture
Lui qui est toujours interdit aux Etats-Unis, malgré son amour de Faulkner, n’a pas désarmé même si désormais l’économie a remplacé la culture après que l’image eut supplanté le texte.
Loin de persister dans les regrets, il sait que le neuf fleurit sur de vieux terreaux.
Il prend l’exemple de Vienne capitale de l’empire austro-hongrois, qui au moment de sa décadence livre au monde tant d’artistes et de savants : Klimt, Musil, Freud, Mahler… car « les périodes fastes et conclusives sont celles où la mélancolie au cœur n’empêche pas la gaîté de l’esprit »
Autant que ce soit bien dit.
«  Les crépuscules donnent du talent » voire
« Les viandes un peu faisandées, juste avant de se décomposer, libèrent de subtils arômes » Pour conclure sur une note positive, il s’oblige à mettre à la forme interrogative :
« Qui a dit que sortir de l’histoire oblige à broyer du noir ? »

vendredi 2 juin 2017

« En même temps ».

J’envisageais de frétiller du clavier en me laissant porter par l’air d’optimisme qui a soufflé un moment par ici, et puis nous voilà remis le nez dans les affaires dont on croyait être sorti.
Ferrand casse l’ambiance avec la reproduction des sempiternels dénis par ceux qui se sont gavés. 
Pourtant je ne peux me ranger à une vision du monde où tous les responsables ne viseraient que de noirs desseins.
A défaut de les maîtriser, j’affectionne les paradoxes, les contradictions, et les contradicteurs, tout en ne trouvant pas drôles les trolls, toujours contre tout.
J’adore l’expression rassembleuse : « En même temps » qui prend en compte les désaccords.
Alors que tant de pays dans le monde voient chez nous des promesses d’un temps nouveau, quelques grincheux vont pouvoir retremper leurs pinceaux dans leur bile noire. Et même quelques adeptes du « lâcher prise », n’hésiterons pas à persister dans une philosophie de rottweiler : «  on ne lâche rien ».
Le moment historique que nous vivons voit les mots anciens s’effacer comme une fresque antique dans le film « Roma » de Fellini qui disparaissait au contact de l’air d’aujourd’hui, pollué certes, c’est celui que nous respirons.
Les girouettes étant rouillées, les GPS s’affolent, et ceux qui n’ont que l’étiquette « il est de droite » à coller au front du nouveau ministre de l’éducation nationale, Jean Michel Blanquer, n’ont toujours pas vu que la fresque s’était estompée.
Ils ne peuvent contrer ses déclarations: «  je ne serai pas le ministre de l’injonction » qui renvoie à une confiance aux acteurs de terrain. Et puis quand le droitier cite Régis Debray comme référence, je ne peux que me mettre en rang.
La diminution des effectifs des CP et CE1 en zone difficile, plutôt que des maîtres surnuméraires dans les écoles, me semble plus efficace, car une classe à faible effectif avec un maître en responsabilité vaut mieux que tous les papillonnages, tous les bavardages.
Les études, les devoirs à l’école : une mesure de justice, mais là, il faut voir les moyens et l’ambiance quand dans certains collèges ne peuvent être assurées les permanences. Lorsqu’un prof est absent : hourrah ! C’est la ruée vers la sortie, encouragée par l’administration dans des établissements quand par ailleurs les jeunes sont davantage invités à se divertir qu’à « travailler ». Les séquences de valorisation des élèves qui sont proposées en fin d’année ne prennent pas en compte les acquis apportés par les cours, mais ce qui peut se montrer sur une scène. Self-service, selfie et sauve qui peut !
Faire demi tour sur ce qui est engagé depuis des années avec des profs qui doivent en rabattre sur les apprentissages, ne sera pas aisé.
Les regretteurs d’hier, dont je suis, peuvent rester à veiller auprès des valeurs et des mots disparus, comme les vigies montant la garde après coup autour du cratère de l’explosion, afin de rassurer, mais personne n’est dupe.
Alors pour réchauffer mes arthroses, je préfère guetter les lumières qui, malgré ou à cause des poussières, viennent éclairer la pièce, et souhaiter bonne chance aux « marcheurs ».
…………………..
Dessin de « Courrier international » d’Herrmann de La tribune de Genève
et du « Canard enchaîné ».

jeudi 1 juin 2017

La peinture avant la peinture. Laurent Salomé.

Le conférencier devant les amis du Musée de Grenoble entendait sous ce titre mystérieux nous entretenir de Fantin Latour arrangeant ses fleurs, en complément de l’exposition qui lui est consacrée jusqu’au 18 juin 2017.
La peinture des fleurs, à laquelle il consacra entre 500 et 600 toiles (800 selon d’autres sources), était un genre mineur le plus souvent laissé aux femmes.
Mais comme« une demoiselle maniaque et passionnée » l’artiste accordait beaucoup d’importance à la composition de ses motifs avant de passer au travail. Disposer avec goût et acharnement des bouquets : c’est tout un art, floral.
Si Chardin fut à la source avec ses « Fleurs dans un vase »,
dans leur Blue Porcelain Vase celles de Anne Vallayer-Coster au XVIII° ont  une délicatesse de couturière
et chez Van Huysum de la munificence.
Ces quelques branches de fruitier simplement traitées par Henri Fantin-Latour, esquissées et pourtant précises marquent une présence, dans le silence.
Elles sont différentes des « Fleurs dans un verre » d’Eugène Boudin qui ont la majesté de la peinture d’histoire.
Edouard Manet, homme d’action, s’attache surtout à la lumière dans ce magnifique « Bouquet de fleurs dans un vase ».
La morphologie globale des bouquets se comprend avec le choix des vases précieux, mais pas trop, pour des allures échevelées, voire tragiques, rondes, humanisées.
Le vase globe s’inscrit dans un travail sériel où les formes jaillissent avec encore plus de force. Une « cup of tea » joue avec l’immobilité pour une clientèle anglaise qui lui assura des revenus réguliers.
L’artiste ne s’accorde pas de liberté, respectant les saisons, à une exception près quand sont apposées les peu compatibles cerises et jonquilles.
Sur un coin de table, comme à la dérobée, fruits et fleurs s’harmonisent. La peinture est onctueuse comme chez les romantiques, et le rendu des brillances s’acharne à s’approcher du réel.
Cette manière est plus proche de Courbet que des impressionnistes.
Les roses blanches, blotties, couchées, sont fragiles. Sur fond gris la planche est botanique, anatomique.
Ses fleurs de cytise splendides et pendouillantes sont-elles le fruit d’un regard ironique ? 
Dans un développement chronologique, les bouquets assument leur délicatesse et dépassent la préciosité.
Là des œillets commencent à faiblir,
ici des pivoines lourdes fatiguent, comme des divas déchues.
Les tonalités deviennent plus chaudes dans les années 1880, dorées, mordorées, baroques, ainsi ces dahlias.

On ne se lasse pas de ses floxs, zinnias, chrysanthèmes, genêts, géraniums, pétunias fussent-ils bicolores, roses trémières, pois de senteurs graphiques, pieds d’alouettes dynamiques et tant de roses.
Il mourut à Buré le 25 août 1904 où il aimait choisir les fleurs de son jardin. Elles se sont conservées jusqu’à nous depuis le tournant des siècles précédents. Le peintre introverti qui avait vu les peintres hollandais, a annoncé aussi dans ses portraits de fleurs, une modernité qui nous étonne et nous enchante encore.
« A bout de tige se déboutonne hors d’une olive souple de feuilles un jabot merveilleux de satin froid avec des creux d’ombre de neige viride* où siège encore un peu de chlorophylle, et dont le parfum provoque à l’intérieur du nez un plaisir au bord de l’éternuement.» L’œillet de  Francis Ponge. 
*Le viride (du latin viridis, vert), ou viridien, ou vert Guignet est une couleur pour artistes d'un vert bleuté et transparent. Wikipédia.