mercredi 7 décembre 2011

Lisbonne # J6. Soir de fado.

Nous flânons jusqu’la boîte du fado « A severa » en passant par les grosses artères et par le miraduro de Sao Pedro de Alcantara face à Lisboa baignant dans la lumière dorée du couchant.
Nous sommes accueillis par un majordome en costume qui nous introduit cérémonieusement derrière une deuxième porte en bois. Nous sommes installés à la table réservée dans une salle sans fenêtre, azulejos non figuratifs et vues de Lisboa anciennes. Un garçon s’enquiert assez vite auprès de nous de notre choix d’apéritif : nous nous proposons d’essayer le ginjha, la liqueur de cerises typiquement lisboète. Le garçon entame une bouteille devant nous, remplit nos verres et amène les olives, du beurre et de la confiture en amuse-gueule. Il apparaît peu après chargé d’un plateau où sont exposées différentes entrées : melon, jambon, gambas grillés, crevettes et autres pour que nous fassions notre choix. Evidemment il se porte sur les crustacés. Nous sirotons tranquillement, béatement, jusqu’au moment où quelqu’un se pose la question du prix. Moment d’inquiétude et d'hilarité. Je demande la carte et notre fou rire s’amplifie car nous nous demandons si nous avons assez d’argent pour régler la note, d’autant plus que personne n’a pris sa carte bleue (28 € l’entrée). Nous nous privons du plat de résistance et de vin et faisons durer notre commande au demeurant délicieuse. J. se force à manger la carapace de sa bestiole. Heureusement les musiciens s’installent assez vite, deux instruments : guitare et guitara portugaise et quatre chanteurs deux hommes et deux femmes. Les fados sont groupés par trois d’une durée de trois minutes ; dans une semi pénombre éclairés à la bougie entre les plats. C’est surtout la plus jeune des artistes qui nous émeut par sa voix sensuelle et ses interprétations fraîches et naturelles, moins apprêtées et calculées que ses collègues. Peu à peu nous pénétrons dans le monde du fado, certains morceaux sont repris par les clients de la salle. A un moment le personnel distribue une publicité de la maison avec les paroles d’une chanson « A severa ». Le Routard nous enseigne que La Severa était le nom d’une fadista célèbre des bas fonds lisboètes dont un riche noble était tombé amoureux (1820-1846). M. n’ose sortir son enregistreur, les artistes vendent leur CD entre leurs passages vocaux. Nous pouvons régler l’addition avec soulagement, pas trop affamés sans que D. ne sorte son billet de 50€ le jour de son anniversaire. La soirée a tété réussie: fou rire et fado. Vers 11h 30, les rues sont bien vivantes, les jeunes filles et garçons vident des bouteilles face au miradouro, assis sur des bancs.

mardi 6 décembre 2011

Hanté. Philippe Dupuy.

Dupuy de Dupuy et Berbérian auteurs des élégants « Monsieur Jean », nous livre un livre en solo.
Ses joggings sont propices à délier une imagination souvent proche du cauchemar avec chiens voraces, nature gloutonne, chutes dans des conduits sans fin, amputations, cris qui ne s’entendent pas…
Heureusement un canard hospitalier lui apprend que « l’intérieur dans lequel on vit est le reflet de notre propre intérieur », il retrouve aussi sa maman.
L’histoire d’un peintre « Patte gauche » est poignante, mais celle d’un catcheur plus attendue est trop étirée.
Comme dans un carnet intime qui coucherait pour le compte ses angoisses, la forme aurait pu être parfois plus travaillée pour mieux nous faire partager son inventivité, sa sincérité.

lundi 5 décembre 2011

Tous au Larzac. Christian Rouaud.

Le documentaire de deux heures ne cultive pas la nostalgie. Il souligne la durée de la lutte des paysans contre l’extension du camp militaire (11ans), la formidable évolution des personnes interrogées, leur finesse, leur lucidité, leur ferveur intacte.
Mais j’ai du mal à partager l’avis de ceux qui associent cette lutte obstinée à celles d’aujourd’hui qui me semblent plus parcellaires.
Quand on énonce simplement la phrase : « des paysans rencontraient les ouvriers, des étudiants », on parle d’un autre siècle :
les paysans il n’y en a plus guère et les ouvriers ont l’intention de voter extrême droite à 40%.
Il reste l’inventivité de ce mouvement, dont les copies se dévoient depuis en médiatisation comme fin en soi, alors que les acteurs de cette mobilisation emblématique sont bouleversés, quand à l’arrivée de leur marche à Paris, ne s’entendait que le bruit des bâtons. L’exigence démocratique dans le groupe a été remarquable également et la solidarité qui leur a permis de construire une magnifique bergerie à La Blaquière, soudés parce que l’adversaire est visible, la situation claire, les politiques, pas encore enrobés de com’, de bonnes cibles maladroites.
Debré : « Nous choisissons le Larzac, c’est un pays déshérité ».
Il en a enrichi plus d’un, humainement.

dimanche 4 décembre 2011

A cause d’elles. Alain Souchon.

Je n’avais pas eu besoin d’un teasing un peu envahissant pour attendre avec impatience le CD vendu au profit de la recherche sur le cancer par celui qui « le mercredi s’balade une paille dans sa limonade ».
Illustrées par Sempé ces chansons d’enfance, qui pour beaucoup m’étaient inconnues, réunissent mes deux doux rêveurs préférés : Noël en novembre.
Comme souvent les comptines, ces complaintes sont étranges, mélancoliques, voire tragiques : trois petits coups de bâtons pour la petite hirondelle et le curé ne pleurera pas à l’enterrement de Simone.
Villon est là, « le cœur lui fend », Hugo accompagne ses crapauds, Félix Leclerc rend hommage à l’ours pris au piège, Béart évoque des enfants sages, Botrel plaint le petit Grégoire.
Nous pouvons découvrir des ritournelles traditionnelles :
« J’avais deux écus 
Le premier je l’ai bu 
Je ne l’ai donc plus 
Le second brillait si fort dans la lumière 
Que j’en ai fait don à la claire rivière 
Mais pour moi le monde est beau 
Dans les arbres là haut 
Chantent les oiseaux » 
Je préfère la version 2011 d’ « En sortant de l’école » de Prévert à celle plus emphatique de Montand.
En d’autres temps plus assurés, j’aurais aimé faire partager à mes élèves « Le jour et la nuit » qui ouvre la belle série. Mais l’école est tellement piétinée, que je ne sais comment les enfants prendraient cette chanson enjouée qui pour vanter l’imagination n’aurait pas besoin de lier apprentissages et ennui.
Le petit garçon de Sempé, en pyjama, au balcon de l’immeuble centre ville regarde les dauphins qui passent dans le ciel, il a bien mis son écharpe.

samedi 3 décembre 2011

Refaire société. La République des idées. Le livre.

Baudelot, Castel, Dubet, Rosanvallon, parmi les plus connus apportent leurs contributions à un ouvrage collectif nourrissant, contenu en moins de 100 pages.
L’égalité revient en force :
« Une inégalité sociale excessive accroit la délinquance et l’insécurité, elle est défavorable à la santé, elle ferme les groupes sur eux-mêmes, sur leurs égoïsmes et leurs identités. Elle affaiblit aussi le civisme : on vote moins et on est moins disposé à payer ses impôts. L’inégalité sociale affaiblit le sentiment de vivre dans la même société, elle installe la défiance et la peur des autres, elle accentue les mécanismes de séparation urbaine et culturelle. »
La gauche doit être secouée :
« Pourquoi ne rien dire de véritablement audible sur la vie politique européenne et sur la formation d’un espace politique plus intégré et plus démocratique ? Pourquoi ne rien dire de clair sur la décentralisation, quand la droite semble plus jacobine et la gauche plus girondine ? Pourquoi faire comme si la constitution de la V° république était parfaitement démocratique, dès lors que « nous » sommes au pouvoir ? Pourquoi reculer sans cesse sur le cumul des mandats et sur le nombre des réélections possibles ? Pourquoi accepter que quelques grands élus se transforment en fermiers généraux, pendant que les outsiders, les femmes, les jeunes, les membres des minorités font le pied de grue en attendant que les notables meurent ou soient devenus vraiment trop vieux pour faire illusion ? Le fait que la droite soit capable d’être pire n’implique pas de faire l’économie d’une redéfinition de l’espace public. » 
Le constat est implacable sur le plan économique :
« La jeunesse a payé le plus lourd tribut aux mutations profondes du marché du travail : chômage, précarité, petits boulots, intensification du travail, flexibilité, le tout sur fond d’insécurité sociale ou professionnelle. »
Le tour est complet quand sont mis en évidence les ambiguïtés de la promotion de l’individu, les mécanismes qui fabriquent des solitudes, discriminent, maintiennent l’héritage contre le mérite...
Des suggestions sont apportées pour un nouveau droit de l’entreprise, pour refaire société, faire société par le côté gauche

vendredi 2 décembre 2011

Forum libération. Lyon 2011. Les nouvelles frontières.

Dans l’échantillon circonscrit à 1/6° des débats possibles, au bout de dix discussions en trois jours sous les ors de l’hôtel de ville de Lyon et dans le bel opéra, j’ai retenu le mot :  
« réciprocité » pour aller contre l’assistanat et avancer vers plus d’égalité, comme l’écrit François Dubet :
« De manière générale, une politique de gauche devrait se poser plus résolument qu’elle ne le fait la question de savoir qui « paie » et qui « gagne » dans les mécanismes souvent illisibles de la redistribution sociale … il n’est pas certain que les transferts sociaux se fassent toujours dans le bon sens, des plus riches vers les plus pauvres, que ce soit en matière d’éducation, de santé ou de logement. »
J’ai apprécié la personnalité puissante d’Ahmed Aboutaleb, maire de Rotterdam qui au moment de l’inauguration d’un clocher restauré, quand il enlève la bâche protectrice dira :
« c’est comme ôter le burqua d’une femme pour en révéler la beauté. » 
J’ai été déçu par Aurélie Filipetti qui devait d’abord intervenir sur l’environnement et finalement ne fait que bavarder à propos de culture.
Traversant plusieurs débats, l’opposition ville / campagne se pose d’une façon lancinante lorsqu’en Europe « une vache est plus indemnisée qu’un chercheur », cette question:
la ville sera-t-elle toujours émancipatrice à l’heure où un habitant de la planète sur deux viendra l’habiter ?
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Dessin de Jul:

jeudi 1 décembre 2011

Les plus belles montagnes du monde.

Les éditions Glénat présentent une exposition de photographies des plus belles montagnes du monde.
Nous entrons dans l’époque des encombrants livres d’art.  
« Les photographes internationaux les plus fameux du genre » qui sont présentés jusqu’en février sont également réunis dans un ouvrage portant le même titre pour  
« illustrer toute la magie du monde ».
Quand on me désigne les plus beaux villages de France, les plus belles stars, les plus beaux couchers de soleil, les blagues les plus drôles, je suis content de retrouver quelques réflexes primitifs qui m’entrainent à la contradiction.
Tant d’excellence impressionne mais ne touche pas : belles lumières, définitions parfaites, sublimes sommets. Mais quand la magie est tellement convoquée, il est bien rare qu’elle vous attrape.
Je préfère les personnages émouvants de la dépressive Diane Airbus à ces paysages purs et glacés qui auraient mérité des formats plus amples.
La chapelle du couvent sainte Cécile où se tient l’exposition est un beau lieu dans un îlot chic, avec une magnifique bibliothèque sur huit étages et des vitraux dont les cloisonnements conviennent bien à des vignettes à la ligne claire. Même si l’on demande la permission, il est défendu de photographier les locaux. Je n’ai pas substitué mon téléphone portable à mon objectif ostentatoire : je n’ai pas 13 ans tous les jours.