dimanche 31 octobre 2010

Manset

Au moment où la radio de son maître se taisait en 68, les ondes planantes de Gérard Manset ont pu passer, depuis il y est rarissime. Cela conforte ses fidèles d’autant plus inconditionnels qu’ils ne sont pas noyés dans une foule d’allumeurs de briquet. La compagnie de pairs qui ont reconnu ce successeur de Gainsbourg et des Beatles réunis comme un grand leur suffit : Bashung, Hardy, Cabrel, Sheller, Clerc…
Le chanteur qui peint et pratique la photographie a été chiche de sa propre image et son refus de rééditer quelques succès a fait monter sa cote.
Il voyage en solitaire et nous nous reconnaissons dans son parcours, quand « être au monde » va avec la volonté de mener sa barque comme on l’entend :
« Mais il est seul
Un jour
L'amour
L'a quitté, s'en est allé
Faire un tour
D'l'autr' côté
D'une ville où y avait pas de places pour se garer. »

Il est parti aux autres bouts du monde, sans poser au héros comme Lavilliers, son regard fixé sur les tapisseries décollées des chambres tropicales et revenant avec de beaux papiers.
Il nous dit bien que
« Les capitales sont toutes les mêmes devenues
Aux facettes d'un même miroir
Vêtues d'acier, vêtues de noir »

Mais il ne s’en est pas retourné, aveuglé par les longues pluies, il a su très tôt nous dire :
« Il faudra bien qu'on pense un jour
Aux enfants qui poussent dans les tours,
Sur les trottoirs, sous les néons
Ceux qu'on ramasse dans les cartons.
Où sont les vastes terrains vagues,
Tout est silence.
Les murs de briques, les tas de sable
De mon enfance.
Les enfants nus, visage de charbon
Suivant les sentiers dans la grisaille
De nos maisons de France. »

Il mêle les éléments les plus fondamentaux le vent, l’eau, le soleil aux Légo sans mémoire, aux mocassins sous des tapis de violons. La ménagère au matin fait chauffer de l’eau et rêve.
Je peux l’écouter des heures, l’oublier, revenir vers ses incantations et me laisser enlacer par ses mots essentiels.

samedi 30 octobre 2010

« Tous les enfants sauf un. »

C’est ce que Philippe Forest a fait écrire sur la tombe de sa petite fille morte d’un cancer il y a dix ans, elle n’avait pas cinq ans. C’est la première phrase de « Peter Pan », mais la littérature ne sauvera pas le papa qui a noirci tant de pages après ce drame. Dans ce livre, il reprend le récit de cette mort et élargit sa réflexion sur l’hôpital, le statut de l’enfant, le cancer, la religion, le deuil et ses travaux forcés, sans détours.
Il cherche : « On doit pouvoir faire plus simple encore. J’aimerais pouvoir y parvenir. Rien ne remplacera celui qu’on a perdu. Et c’est seulement à la condition d’accepter cette évidence que, consentant au sacrifice de soi-même, on conserve vive la vérité d’avoir aimé. »

vendredi 29 octobre 2010

« Démocratiser la décision »

Il en fut question au forum Libé de juin à Grenoble, depuis que la « démocratie participative » est revenue sur le devant de la scène et que le moindre geste politique s’accompagne des mots
« concertation », voire « partage » omniprésents dans chaque boite à outils de com’ , de l’assoc’ la plus ringarde jusqu’au FMI .
Les « gens » ne se contentent plus d’être seulement informés, pourtant les processus innovants pour être décidément participatifs ne sont pas évidents.
Les personnes qui investissent les espaces ouverts à la décision sont majoritairement accessibles à l’arthrose. Et finalement « on vote où l’on dort », alors que la ville peut très bien être produite par les touristes ou ceux qui y travaillent par exemple.
Dans le schéma idéal de nos représentations, le triangle est la figure convenue où la collectivité publique en gestionnaire se placerait à un sommet, le marché sur une autre pointe et la société civile en garante des valeurs. Sauf que la multiplication des DSP (délégation de service public) en particulier dans le domaine culturel amène du déséquilibre : le renard a franchi le grillage.
Oui, nous sommes dans des systèmes en évolution, les enjeux, les choix doivent être hiérarchisés ; dans la complexité qu’est ce que la souveraineté populaire ?
Une évidence qui venait juste après l’abstention aux régionales : cet échelon est mal perçu car la décision politique n‘ inaugure pas beaucoup.
Et une nuance concernant le morcellement communal tant décrié, qui a su maintenir en France, dans tant d’espace, un réseau remarquable des services.
Pour que le citoyen ne soit pas qu’une créature abstraite, le processus démocratique comme on dit, a comme obligation le suivi, le compte-rendu, l’évaluation extérieure.
Ainsi l’intérêt collectif peut émerger lorsque chacun se l’approprie, mais l’urgence fait mauvais ménage avec l’élaboration lente, concertée, ascendante.
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Dans « Le Canard » de cette semaine :

jeudi 28 octobre 2010

Cabanel Alexandre

Même sous les platanes des promenades montpelliéraines il faisait bien chaud, alors
les corps laiteux et lisses de Cabanel, paraissent délectables.
Il eut ses heures de gloire au XIX° finissant, et le musée Fabre rend hommage à l’enfant du pays. Il incarnait l’académisme quand les impressionnistes étaient bannis des expositions ; aujourd’hui c’est lui qui est tiré de l’oubli, et c’est intéressant comme toute exposition qui présente un artiste dans ses évolutions.
Un montage approprié témoigne du passage de l’esquisse à la touche définitive : les nouvelles technologies au service d’une présentation agréable.
Une Cléopâtre bien blanche essaie des poisons sur des esclaves, des anges déchus ont le regard bien contrarié, les scènes sont bibliques ou littéraires et les portraits charmants privilégient une atmosphère florentine.
Une bonne adresse puisque Courbet qui avait précédé Cabanel dans cette exposition temporaire conserve quelques tableaux dans ce musée récemment restauré.

mercredi 27 octobre 2010

New York. J8. Le MET.

Dehors il fait bon sous le soleil. Nous prenons le métro jusqu’à Lexington avenue et nous poursuivons à pied dans un quartier cossu mais pas tapageur où Dany remarque le nombre important de fleuristes. Nous débouchons bientôt face au Métropolitan Muséum et empruntons l’entrée des scolaires et des groupes, surpris du peu de personnes en attente. Nous échangeons nos Pass City contre une pastille métallique rose à agrafer à nos vêtements. Armés d’un plan détaillé, nous choisissons de commencer par l’aile américaine. Pour y parvenir nous traversons l’art médiéval et nous tombons sur une procession de pénitents en pierre, en lamentation rangés deux par deux, parfaitement éclairés. L’ensemble provient d’un tombeau de Jean sans peur près de Dijon et la mise en situation valorise chacun des personnages libérés ici de leur gangue gothique. Impressionnant, mais interdit de photographier.
Autour d’un patio protégé par une verrière nous découvrons l’art nouveau à travers Tiffany, artiste de mosaïques et de vitraux. Nous admirons l’escalier, des portes en verre aux décorations multiples, des vases, mais pas l’ombre d’une peinture. Un gardien interrogé par Nicole nous envoie de l’autre côté du musée nommé modern art.
Nous y voyons des toiles de peintres américains qui nous sont inconnus mais aussi
des œuvres peintes et sculptées de Giacometti, un portrait tragique de sa mère, un chat sculpté,des Balthus, trois petits autoportraits de Bacon superbes, des Dali dont une madone en trompe- l’œil, des Modigliani, des Beckmann, des Bonnard, des Matisse, des Vuillard, des Braque, des Juan gris…et pas de Picasso.
Pour changer, nous circulons par moment dans deux expositions art nouveau, où nous retenons un immense tableau de verre, métal et bois laqué extrait du paquebot Normandy. Quelques meubles stylisés, de la vaisselle, des bibelots, un ours de Pompon, des services à thé, des bijoux (collier de perruches en verre ou cristal) attestant de l’art abouti des artisans de cette période.
Nous sommes tous d’accord pour une halte au restaurant le plus proche à l’intérieur du musée où les prix dépassent très largement celui des restaus que nous fréquentons habituellement ( plus de 200 $ pour cinq personnes). Nous reposons un moment nos gambettes.L’après-midi nous poursuivons avec l’art moderne du XX°. Dans cette partie du musée nous nous arrêtons devant une sorte de parabole constituée de multiples petits miroirs qui reflètent la même image démultipliée. Nous retenons aussi :
la reproduction du drapeau américain tout blanc comme décoloré, fané,
une toile circulaire d’un chinois réalisée avec de la cendre, des Pollock, des Kooning, un tableau représentant la mort de John Ford.
Mais nous ne pouvons pas tout retenir, nous oublions.
Nous décidons de passer un moment aux arts américains océaniens et africains : une mine ! Créativité, imagination, originalité et aussi des constantes entre les peuples. Nous ne finissons pas cette partie avant l’art africain. Je me consacre aux impressionnistes, dans l’ivresse juste avant la fermeture, je gave mon appareil photo, seul au milieu de chef d’œuvres inestimables.
Il reste tant à découvrir encore, nous n’avons pas vu la moitié des collections réparties dans des salles bien organisées, collections d’une grande diversité d’époque, d’art et de régions. J’avais lu qu’il y avait deux millions d’œuvres mais le plus souvent on parle de trois millions, pas toutes exposées quand même. Pas d’ordre chronologique pour les peintres et les œuvres, comme au Moma. Chaque salle correspond à une donation et porte le nom du donateur. Nous ne sortons pas saturés, avec l’impression d’avoir été privilégiés dans ce musée prestigieux et si nous avons croisé une classe d’ados aussi fatigués que les nôtres, de plus petits discrets, des enfants attentifs à l’adulte devant les Matisse, le public est à peine perceptible.
Dehors la pluie s’annonce par quelques gouttes clairsemées, puis plus serrées, elle clôt nos atermoiements d’emploi du temps : nous prenons le bus pour nous approcher du métro. A l’intérieur nous vérifions une fois de plus la sollicitude des newyorkais. Une dame nous prend sous son aile, nous entraine pour une correspondance de bus afin d’éviter au maximum de nous mouiller. Nous nous étonnons encore du nombre de personnes qui nous répondent dans notre langue. Ils ne sont pas touristes, mais Sénégalais, Algériens, résidents récents dans le nouveau monde. Nous poursuivons seuls le long trajet qui nous ramène à Brooklyn. Nous allons à la bibliothèque du quartier à deux pas de la maison, pour renouer avec Internet abandonné depuis une semaine, 3$ la ½ heure, parmi d’autres internautes, des joueurs d’échec et des lecteurs et choisissons des plats cuisinés chinois (26$ pour tout).

mardi 26 octobre 2010

Lucky Luke contre Pinkerton.

Cette fois le successeur de Morris, Achdé, peut compter sur Benacquista et Pennac pour scénariser les aventures du cow boy qui compte ses 64 ans. L’heure de la retraite a sonné pour Jolly Jumper et son maître. J’en étais tout désappointé et je trouvais bien ingrats ceux qui ont bien vite oublié le solitaire, détrôné par Pinkerton prônant des méthodes policières modernes, où à l’identité judiciaire on demande de ne plus sourire au moment de la photo, où la tolérance est à zéro et le fichage en règle. Ce personnage ambigu a existé et les deux auteurs de polar multiplient les allusions au climat actuel : manipulation de l’opinion par la rumeur, surpopulation carcérale... Les fondamentaux sont respectés : les Daltons sont toujours aussi bêtes, Lucky Luke encore plus flegmatique. Billy the Kid est libéré pour bonne conduite : quelle honte !

lundi 25 octobre 2010

Illégal. Olivier Masset Depasse.

Les valeurs de justice, qui figuraient dans l’imaginaire des étrangers qui veulent rester chez nous, sont mises à mal, quand les dispositifs visent à empêcher l’immigration. Une femme russe qui fit valoir notre langue dans son pays où elle professait, est sans papier, elle s’en brûlera les doigts pour échapper aux vérifications. Ce centre de rétention présenté n’est pas forcément un endroit indigne et quelques garanties démocratiques subsistent; nous ne sommes pas en bordure de Méditerranée. Le réalisateur belge nous révèle les réalités hors champ des caméras administratives appelées là par la loi pour éviter en principe les bavures qui subsistent lors des expulsions. En évitant les rôles trop d’une pièce, il retrace une histoire émouvante qui complète « Welcome » quand Lindon était en maître nageur. Les drames ne sont pas seulement les hématomes sous la peau, mais des vies familiales compromises. La vision du cinéaste n’est pas totalement pessimiste, puisqu’il nous laisse espérer que le beau personnage central pourra réussir grâce à l’amour filial pourtant contrarié tout au long d’un film qui nous rappelle à la réalité des barbelés qui nous enserrent.