jeudi 16 février 2017

Quand l’art part à l’aventure… Thomas Schlesser.

Pour conduire les amis du musée de Grenoble sur les sentiers du « Land art », le conférencier part du mot « tourisme » dont l’origine est à chercher du côté du « Grand tour » que pratiquaient les aristocrates, les artistes, au XVII° siècle. Ceux-ci devaient ainsi conforter leurs connaissances livresques à la vue des plus beaux monuments de l’antiquité et des plus beaux paysages aux alentours de la Méditerranée.
Le jeune professeur à l’école polytechnique, auteur de « L’univers sans l’homme », va procurer une dimension épique aux artistes en les peignant en aventuriers.
Dans le domaine des livres, Jules Verne qui donna de l’ampleur à bien des fantasmes techniques, exprima les paradoxes de l’explorateur avide de lointains pour lequel un tour de 80 jours ce n’est finalement pas si long.
Dumas traita de l’ampleur historique, alors que Conrad était plus mélancolique.
« La vitesse a supprimé jusqu’aux aventures ; tout est plus simple, plus direct, pas du tout fabuleux et beaucoup moins charmant. La science a détrôné la poésie ; l’homme a substitué sa propre force aux dieux jaloux, et nous voyageons orgueilleusement, mais assez tristement, dans la prose. »
C’est d’ Eugène Fromentin qui a écrit « un été dans le Sahara », il était aussi un peintre orientaliste qui alla au désert, renouvelant ainsi les pratiques de son art. Dans « Le pays de la soif » l’aventure a terrassé les membres de l’expédition : le monde est décidément indifférent aux humains.
Le « Naufrage » de Joseph Vernet intensifie aussi la « modicité » de la place de l’être humain. A son propos, comme pour Turner, la même anecdote fut contée : épris de sincérité, ils se seraient fait attacher au mât d’un bateau pour vivre les tempêtes de plus près.
« Le naufrage en grande tempête » de Philippe-Jacques de Loutherbourg est cataclysmique.
Au XVIII° siècle, au moment où la géologie se constitue en sciences et que le mont Blanc vient d’être gravi,Caspar Wolf en peignant  « Les montagnes du Lauteraar », peut évoquer la présence récente de l’homme sur la terre.
Au XIX °, Thomas Morand de  l’Hudson River School accompagne les pionniers et contribue à la topographie du « Nouveau monde ». Face aux « Jupiter Terrace » à Yellowstone, des silhouettes humaines sont tout juste mentionnées pour donner l’échelle, parmi ces roches dépositaires d’un passé immémorial.
Alors que le paysage était à l’arrière plan dans les peintures de la Renaissance, les personnages n’ont plus que la portion congrue.
Si l’on peut voir dans l’arc-en-ciel, une alliance de Dieu et des hommes, « Les chutes du Niagara » de Frederic Edwin Church, célèbrent la nature sauvage dans un pays qui a préservé très tôt quelques sites grandioses alors que dans son expansion il a détruit, avec frénésie.
Au siècle dernier, Michael Heizer de la génération - on n’hésite pas avec les grands mots- « héroïque » du « land art », fait creuser des ravins rectilignes dans le désert du Nevada comme autant de sculptures gigantesques en négatif : « Double négative »
Sa « City » n’est pas achevée,  cette colossale construction est un artefact surdimensionné (« Objet fabriqué par l’être humain découvert lors de fouilles »), à destination des archéologues des siècles à venir, après la grande déflagration.
Robert Smithson est mort dans un accident d'avion tandis qu'il repérait un nouveau site après s’être affronté à la nature en une spirale difficile d’accès et parfois recouverte par les eaux  du grand lac salé : « Spiral Jetty ».
C’est par ses marches que Richard Long a marqué sa singularité. Ses traces fugaces « Walking a Line in Peru » sont conservées par la photographie pour les galeries, ou inscrites dans des protocoles. Sans témoin, il frappe 1000 fois deux roches,  lance plus de 3000 fois une pierre qu’il reprend, ou revient plusieurs années après disperser des galets qu’il avait disposés en cercle.
Hamish Fulton ne déplace pas une brindille et ne laisse pas de trace.
Bas Jan Ader, artiste conceptuel, parti pour traverser l’Atlantique sans expérience de la navigation avec le plus petit bateau possible, disparut en mer.
Pour déplacer les montagnes, Francis Alÿs, fait appel à des centaines de personnes munies de pelles pour remuer dix centimètres de terre sur une ligne de 500 m. Il court après les tornades pour se placer en leur vortex.
Ses performances souvent à visée politique sont poétiques, mais le sourire se crispe parfois lorsque Abraham Poincheval se met en danger  en passant sept jours et sept nuits en haut d’un mât à 20 m du sol.
Baudelaire me convient mieux, et n’est-ce pas un de nos problèmes contemporains de  tout prendre au pied de la lettre ? « Marcher dans les nuages » ne demande pas forcément de cramer du kérosène, ni de se faire du mal en mettant son body (art) en jeu dans la lande.
Un enfant qui s’applique à marcher sur le bord d’un trottoir, évoqué par un auditeur, échappe heureusement aux galeristes et commentateurs patentés. Je me souviens aussi de la créativité d’élèves appelés à assembler brindilles et feuilles dans un projet qui avait de l’allure, mais aussi de jeux avec marrons et feuilles qui n’avaient pas eu besoin de formulaires, ni de service de presse, pour prendre du plaisir et en donner, sans protocole.
 « Pour l'enfant, amoureux de cartes et d'estampes,
L'univers est égal à son vaste appétit.
Ah ! Que le monde est grand à la clarté des lampes !
Aux yeux du souvenir que le monde est petit ! »
Et la version intégrale, de ce monument grandiose de la poésie, se conclut :
« Ô Mort, vieux capitaine, il est temps ! Levons l'ancre !
Ce pays nous ennuie, ô Mort ! Appareillons !
Si le ciel et la mer sont noirs comme de l'encre,
Nos coeurs que tu connais sont remplis de rayons !
Verse-nous ton poison pour qu'il nous réconforte !
Nous voulons, tant ce feu nous brûle le cerveau,
Plonger au fond du gouffre, Enfer ou Ciel, qu'importe ?
Au fond de l'Inconnu pour trouver du nouveau ! »

2 commentaires:

  1. C'est une sculpture de glace, ta dernière photo ? C'est où ?
    Bravo pour Conrad, qui exprime assez bien ma pensée, avec une nuance...
    Pour l'instant... les dieux, comme des volcans, sommeillent.
    Mais ne t'inquiète pas, comme les volcans, ils ne font que sommeiller.
    C'est pour cela que je me console dans ma lecture de Jacqueline de Romilly, et me lance, encore une fois, dans la lecture de nos tragiques grecques.
    C'est paradoxal, mais le prix à payer pour notre colossal confort, si je puis dire, se situe du côté de la conscient de notre... colossal inconséquence.
    Qui aurait pu imaginer que tant de bien, tant de confort et de facilité pourrait entraîner tant de souffrance sous forme d'ennui, et perte de sens ?

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. J'ai trouvé sur ce site http://landart-passion.blogspot.fr/2012/12/landart-dhiver-de-neige-et-de-glace.html
      un exemple parmi d'autres modestes et fragiles réalisations et la citrouille devenue carrosse dans sa version glacée, brillante, éphémère, me plaisait bien.

      Supprimer