jeudi 9 juin 2016

Bacon, la peinture de la sensation brute.

En introduction à la conférence de Christian Loubet devant les amis du musée de Grenoble sont posés quelques enjeux de taille:
« Peut- on se référer à un modèle de représentation humaniste après 1945 ? En arrachant ses masques, afin de se re-connaître, l’homme finit par déchirer sa chair. L’artiste met en forme le doute contemporain. »
Francis Bacon, mort à Madrid il y a 23 ans, était né en 1909 à Dublin, pas loin de chez  Oscar Wilde.
A 16 ans, il est chassé de chez lui pour avoir revêtu les habits de sa mère. Il assumera son homosexualité.
A Berlin, il découvre l’expressionisme, à Paris, Picasso et les surréalistes. Il rejette l’art abstrait trop esthétique, qui n’a « rien à combattre » et la figuration traditionnelle. De retour à Londres,  il sera marqué par les crucifixions de Roy de Maistre.
De 1933, année de l’installation du nazisme, il conservera une de ses « Crucifixion », alors qu’il détruit toutes ses autres toiles. Il va travailler ce thème pendant plusieurs années.
Des Érinyes, figures mythologiques monstrueuses, vengeresses, sont les éléments centraux du triptyque « Trois études de figures au pied d’une crucifixion »  de 1944. Les bouches hurlantes de cette allégorie de l’horreur vont frapper le public au plexus et initier une notoriété internationale.
« Fragment of a Crucifixion » : « Cette crucifixion d’un des fils des dieux, de siècles en siècles recommencée » Jean Clair. «Amas rose et pantelant de viscères au milieu duquel, s’ouvre terrible, la bouche ronde et hurlante ».
"Trois études pour une crucifixion" évoque le bœuf de Rembrandt, les carcasses de Soutine et le christ de Cimabue comme un ver vu à l’envers. L’accouchement est « viandesque », rouge sang dans la nuit noire.
Ses papes, en 40 variations, enfermés depuis leur sedia gestatoria, victimes de la condition humaine, hurlent, leur majesté est impuissante. En voici une « Étude d’après le portrait du pape Innocent X de Vélasquez », le cauteleux, «  troppo vero ».
Ses têtes en séries crient car «  la route de l’âme est coupée », dédoublées en miroir, fendues ou éclatées en trois. « Study for the Nurse from the Battleship Potemkin » est composée comme souvent à partir d’une photographie du film d’Eisenstein.
L’affrontement bestial de “La corrida” est enfermé dans un cercle, matador et taureau confondus.
« Sweeney agonistes » d’après le poète TS Elliot, traite de l’incommunicabilité avec au centre un compartiment d’où l’auteur du crime a disparu. Les taches sont jetées puis organisées, exploitant l’accident, pour retrouver dans la peinture, la vivacité de la photographie.
Si les amis de FB ne souhaitaient pas forcément être portraiturés,  «George Dyer », son ami, mort d’overdose la veille d’une exposition au Grand Palais est représenté dans son identité fuyante. La solitude et le désespoir perdurent dans d’autres toiles entre vomissement dans un lavabo et prostration sur le siège d’un WC, où flèches et macules ciblent la figure se fondant dans la nuit sous l’ombre de la mort.
Nous pouvons être choqués ou bouleversés par ses formes monstrueuses, torturées, enfermées, il ne s’épargne pas dans ses « Auto portrait » allant au-delà de l’anecdote, infra portrait, tuméfié, au delà de la psychologie.
Son atelier de Kensington, » où s’accumule « l’humus de la création » remonté à Dublin, conserve ce fouillis fructueux dont il prélevait des poussières pour les projeter sur ses châssis. Il mélange pastels et acryliques, usant de brosses, balayettes, chiffons, éponges, couvercles… Il choisit parfois de vitrifier les images pour mieux impliquer le spectateur par son reflet. Peignant souvent au bout de la nuit  « dans une empoignade du flegme et de la frénésie » suivant les mots de son ami Leiris, il réussit « à rompre ce qu’il peut faire facilement ». Après  la banalité du mal chez Arendt et Beckett, il veut toucher le fond d’une souffrance qui est le propre de l’homme. 
« J’aimerais que mes tableaux donnent l’impression qu’un humain est passé entre eux, comme l’escargot, laissant la trace de l’humaine présence et la mémoire du passé comme l’escargot laisse un sillon de bave »

1 commentaire:

  1. Et bé... c'est triste à en mourir, là.
    L'avenir de l'humanisme, et la représentation humaniste après 1945 ??
    Là, j'ai envie de dire que le but de la... religion ? industrialisée nazie a été de mettre en lambeaux l'humanisme allant main dans la main avec la reconnaissance du sacré sous forme de transcendance, et depuis 1945, les héritiers des... "vainqueurs"? de la deuxième guerre mondiale n'en finissent pas de continuer la croisade nazie, tout en se voilant BIEN BIEN les yeux pour que la main droite ne voit pas ce que la main gauche est en train de faire.
    Des années de spychanalyse m'ont appris qu'on ne se connaît point, et on n'est pas prêt de se connaître dans cette vie.
    Je continuerai à... fuir "l'art" de Bacon que je refuse de reconnaître comme art, d'ailleurs, et peu me chaut que d'autres s'extasient devant sa production, ou respecte son "art" de mettre la chair (ET L'IMAGINAIRE) en lambeaux.
    Quand bien même je resterais toute seule à maintenir que cet art n'en est pas selon MA définition, je le maintiendrai.
    Et sans être.... plus bourgeoise que d'autres qui l'approuvent, je m'empresse de dire...
    Cordialement.

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