samedi 12 mars 2016

Que peut la littérature ?

La fête du livre à Bron devient un  de nos rendez-vous annuel 
Pour sa 30° édition, nous avons été ravis bien que le choix soit toujours difficile entre tant d’écrivains majeurs présents à l’hippodrome de Parilly.
Alexis Jenni, l’écrivain prof de sciences et l’historien Benjamin Stora ont écrit ensemble « Les mémoires dangereuses »; le prix Goncourt avait lu le livre du président du conseil d’orientation de la cité de l’histoire de l’immigration, « Le transfert de mémoire ».
Le thème de leur dialogue s’intitulait : « Qu’est ce qu’on a en commun ? » l’Algérie et nous.
Un FN aussi intégriste que le FIS a nourri un «  Sudisme à la française » dans son rapport brutal ou paternaliste aux autres et aux institutions.
L’Algérie n’était pas une colonie mais un département français ; un sentiment de revanche a perduré parmi certains «  pieds noirs » depuis le sentiment d’avoir été cerné là bas par les arabes colonisant à leur tour la métropole d’un empire rétracté. Le souvenir d’une grandeur perdue masqué un moment par la figure du général De Gaulle, dont Alger fut capitale de la France Libre, tourne dans les années 80 à une envie de retour en arrière, autrement dit l’option réactionnaire.
L’histoire des mots est éclairante et paradoxale : « intégration » fut inventé par Soustelle alors que dans les années 30, l’ « assimilation » était la revendication d’un Ferhat Abbas.
Entre le million et demi d’appelés, le million d’Européens d’Algérie, les immigrés algériens dont le nombre a doublé en France pendant la guerre, les « pieds rouges », les harkis, les algériens d’Algérie pour qui se fut aussi une guerre civile, les mémoires sont cloisonnées. 
La France a été modifiée par cette guerre reconnue seulement comme telle depuis peu.
Et le 19 mars en tant que date de fin du conflit ne fait toujours pas l’unanimité : c’est sans fin, d’autant plus que tout débat commence par la fin en 1962 et non le début en 1830.
Les deux complices sont en désaccord sur le film auréolé de ses interdictions de jadis : « La bataille d’Alger » de Pontecorvo ; seraient-ils d’accord sur celui qui reste à faire autour d’Abd el-Kader, franc-maçon et mystique, héros  de l’indépendance, dont le destin exceptionnel pourrait nourrir un grand récit qui n’a été entrepris ni d’un côté de la Méditerranée ni de l’autre ?
Nous avions été attirés à La table ronde suivante par la présence de Maylis de Kérangal mais Alexandre Bergamini et Hélène Gaudy furent à la hauteur par la grâce d’une animatrice qui fit magnifiquement partager les émotions, les finesses des paroles développant le thème de « L’esprit des lieux ».
Si aucun ne fait apparaître le nom d’un lieu dans le titre de son ouvrage, Hélène Gaudy dans « Une île, une forteresse », se consacre à la ville de garnison en forme d’étoile, Terezin, présentée dans des films de propagande nazis comme un conservatoire de la culture juive où 140 000 personnes furent déportées.
 « Le travail des derniers témoins des derniers témoins » à propos de la Shoah est aussi celui d’Alexandre Bergamini qui traite du camp de transit de Westerbork destiné aux juifs Hollandais dans son livre « Quelques roses sauvages ». Aujourd’hui une station scientifique s’élève à proximité comme dans le désert d’Atacama où un observatoire des étoiles a été construit parmi les pierres et les os des suppliciés de Pinochet. Le poète qui a commencé son récit à partir d’une photographie de survivants se voit comme un écrivain et non comme un romancier, au terme d’une écriture au long cours où il estime s’être perdu, happé au bord d’un trou noir. Il ne veut parler pour personne d’autre que lui-même : «  à ma place ». Il nous livre en passant l’information que des tonnes d’or volées aux juifs auraient transité de la Suisse vers l’Espagne.
Dans « A ce stade de la nuit », Maylis de Kerangal, à front renversé avec les deux autres auteurs pour lesquels les photographies ou les dessins sont fondateurs, fait venir les images à partir des sonorités du mot Lampedusa : nom de l’auteur du « Guépard » et de l’île où depuis 25 ans des migrants essaient d’accoster.
Autant de chambres d’échos pour des mémoires qui ne se traitent pas comme un devoir.
«Sacraliser la mémoire est une autre manière de la rendre stérile» Tzvetan Todorov
Ayant fait le tour du dicible, ces jeunes écrivains savent aussi les limites du lisible, et dans le carroyage (= quadrillage, mais j’aimais bien la consonance de ce mot que je viens d’apprendre) des espaces, la métaphore d’un point aveugle au centre de nos vies, évoquée par le monsieur minoritaire sur l’estrade, éveille nos curiosités.
Séduits par toutes ces intelligences, nous avons envie de nous nourrir de leurs ouvrages, c’est alors qu’ils se mettent d’accord pour nous inciter de surcroit à découvrir encore un autre écrivain Allemand mort en Angleterre, Sebalt :
« Les souvenirs sont comme les ombres de la réalité »
Tout a tourné autour de la mémoire soudée à un présent qui contiendrait tous les temps, se difractant et s’incarnant magnifiquement avec ces auteurs dont la quête personnelle dit bien un moment de nos incertaines recherches.

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