jeudi 12 novembre 2015

Le douanier Rousseau. Gilbert Croué.

« Le primitif perdu au milieu des modernes », disait à Picasso : «Nous sommes les deux plus grands peintres de ce siècle, toi dans le style égyptien, moi dans le style moderne »
Devant les amis du musée, le conférencier Gilbert Croué a présenté l’œuvre d’Henri  Rousseau qui ne fut jamais douanier - ce surnom fut proposé par Alfred Jarry - mais employé de l’octroi. Le récit de sa vie apporte un éclairage utile sur un style singulier identifiable au premier coup d’œil.
« Le rêve », sa dernière toile tonique, exubérante, avec ce sofa au milieu d’une jungle aimable, est en majesté au Moma à New York comme d’autres tableaux qui ont trouvé leur place dans les musés les plus prestigieux. Certains ont été retrouvés chez un plombier, dans une ferme, chez sa blanchisseuse ; Picasso en acquit et son ami Delaunay aussi.
Sa poésie, son efficacité picturale, sa spontanéité, furent reconnues par certains de ses pairs dont Signac,  Gauguin, Cabanel… Il s’était mis à la peinture à 41 ans.
Né à Laval en 1844, il déménage à Angers après la faillite de son père ferblantier. Il travaille chez un avoué mais doit s’engager dans l’armée après avoir commis un petit larcin. Il fait partie de la musique du régiment du 5° génie, se montrant attentif aux récits de soldats revenant du Mexique. Il deviendra d’ailleurs plus musicien que peintre, écrivant des poèmes, des pièces de théâtre,
Il s’installe à Paris et se marie avec Clémence, l’amour de sa vie, avec laquelle, bien que remarié, il dialoguera bien après la mort de celle-ci. Ils avaient eu huit enfants dont un seul  a survécu.
Le peintre du dimanche a obtenu la carte de copiste qui lui permet d’accéder au Louvre.
Ses premiers paysages avec vaches, moulin à eau et charrette révèlent des problèmes de proportions, de cohérence.   
Dans « La promenade dans la forêt »  est ce Clémence qui l’attend parmi les arbres dont l’harmonie annonce des réussites prochaines ? En tous cas, il s’est documenté dans les catalogues de sa  femme couturière à la manière d’un Cézanne qui se constituait des cahiers d’images.
« Un soir au carnaval » est présenté pour la première fois au Salon des Indépendants où 7000 peintures étaient exposées pour autant de sculptures. Pissarro en dira du bien, même si les sarcasmes à son égard furent plus nombreux que les éloges, cependant l’ingénu est sûr de lui. 
Dans le « Rendez vous en forêt » les personnages s’embrassent  en habit XVIII°, inspirés du maître des frondaisons, Watteau, dont il conservait quelques reproductions dans son atelier.
« L’île de la Cité »  nocturne, blafarde, graphique installe un décor puissant.
Dans « Moi même, portrait paysage »  il porte la faluche, signe distinctif des peintres, et redécouvre une démarche déjà présente dans les intentions de ses confrères, quand l’arrière plan ajoute au portrait, le commente. Pour la première fois, la Tour Eiffel, si décriée par ses contemporains, apparait. Les lignes électriques de la modernité s’invitent dans ses paysages à Malakoff,  avions et dirigeables à Ivry ou sur le pont de Sèvres, des rugbymen jouent dans le bois de Boulogne.

Le peuple danse autour des deux républiques, dans «  Le centenaire de l’indépendance », alors que « Les représentants des puissances étrangères  viennent saluer la république en signe de paix ».
Son efficace allégorie de « La guerre » est plus convaincante que la seule lithographie qu’il exécuta sur le même thème.
Il réalisa un seul paysage de la mer, qu’il ne vit jamais, pas plus que la jungle dont il peupla tant ses toiles de grande taille dont l’achat le ruinaient, lui, qui malgré la mansuétude de son propriétaire, était dans la misère. Ses animaux sauvages venaient du jardin des plantes  ou du catalogue des galeries Lafayette.
« Surpris ! »  par l’orage, est le tigre dans une végétation exotique, exubérante et riche de couleurs éloquentes.
Un lion renifle «  La bohémienne endormie », ses singes sont « De joyeux farceurs » et sa « Charmeuse de serpents » doit beaucoup au récit de la mère de Delaunay qui revenait d’Inde.
Ses portraits d’enfants solitaires sont empreints de mélancolie, les représentations de Pierre Loti, de Guillaume Apollinaire et Marie Laurencin, « à grand poète, grosse muse », ne comblèrent pas forcément les intéressés.
Dans un banquet en son honneur, organisé au « Bateau lavoir » avec Picasso, Braque, Max Jacob, que dire de mieux que Guillaume Apollinaire :
« Tu te souviens, Rousseau, du paysage aztèque,
Des forêts où poussaient la mangue et l'ananas,
Des singes répandant tout le sang des pastèques
Et du blond empereur qu'on fusilla là-bas.
Les tableaux que tu peins, tu les vis au Mexique,
Un soleil rouge ornait le front des bananiers,
Et valeureux soldat, tu troquas ta tunique,
Contre le dolman bleu des braves douaniers. »
Brancusi grava quelques vers de son ami au « gentil Rousseau », sur une tombe plus digne que la fosse commune où seulement sept personnes l’avaient accompagné, l’annonce de son enterrement était arrivée trop tard. 

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