jeudi 5 février 2015

A la table des peintres : le vin des hommes.

Au XVI° siècle, sous les lumières caravagesques, la peinture naturaliste fait sortir la réalité de la toile et les hommes trinquent sans même l’ombre d’une allusion religieuse en fond de scène.
Le conférencier Jean Serroy, aux amis du musée, nous accompagne, d’auberges qui commencent à s’enfumer en assommoirs XIX°, de gargotes en bistrots, de guinguettes en tavernes.
Le monde est nouveau, le sang circule, les planètes ont trouvé leurs orbites, les cabinets de curiosité s’enrichissent, les natures mortes répertorient le monde.
 « Bacchus chez les vignerons » de Vélasquez, le dieu à l’épaule nue, est descendu de son nuage, il rayonne, mais les acteurs de la vendange aux têtes rigolardes marquées par le soleil sont bien là.
Et lors d’un « Déjeuner des paysans », le vin versé par la servante constitue l’axe de la toile et scelle la discussion.
«  L'on voit certains animaux farouches, des mâles et des femelles répandus par la campagne, noirs, livides et tout brûlés du soleil, attachés à la terre qu'ils fouillent et qu'ils remuent avec une opiniâtreté invincible ; ils ont comme une voix articulée, et quand ils se lèvent sur leurs pieds, ils montrent une face humaine, et en effet ils sont des hommes. » La Bruyère
Trois catégories de paysans sont représentées dans « Repas de paysans » de Louis, un des trois frères Le Nain. Ceux-ci appartenaient à la paroisse Saint Sulpice dirigée par  le père Olier  prêchant  vigoureusement la charité au moment de la reconquête catholique où l’attention se porte tout de même sur les miséreux. Le propriétaire tient un verre éclatant d’une façon distinguée devant son fermier et le va-nu- pied n’a rien.
« Le roi boit » de Jordaens et ce qui est bu ressort, il avait peint aussi «  Comme les vieux chantent, les enfants piaillent », une autre façon de dire, tel père tel fils, 
« ce que chantent les vieux, les enfants le fredonnent » dans « La joyeuse famille » de Yan Steen où la fête est assumée dans un joyeux remue ménage, un chien attend que quelque chose tombe de la table.
Celui-ci est admis à l’intérieur d’un cabaret, contrairement aux femmes, hormis les serveuses, dans une « Partie de cartes» de David Teniers. Une commère jette quand même un coup d’œil.
Par contre tout le monde se presse « chez Ramponneau » qui a installé ses cabarets  au-delà de la barrière de l’octroi où il peut casser les prix. Benjamin Fichel en reconstitue l’ambiance un siècle plus tard.
« Un bar aux Folies Bergère » est le dernier tableau reconstitué en atelier de Manet qui a consacré une dizaine de toiles aux cafés. Comme Degas et son « Absinthe » à la composition décentrée, où une femme songeuse et solitaire au reflet flou, pourrait illustrer « L’assommoir » de Zola qui fit scandale à l’époque.
« Le café de nuit » de Van Gogh semble vide sous la lumière trop crue qui a attiré les « rodeurs nocturnes » comme des papillons.
Dans sa période bleue, « Le repas frugal » de Picasso, inspiré des illustrations des « soliloques du pauvre  » de Jehan Rictus, est sombre, anguleux, ses personnages émaciés, tragiques eux aussi.
Mais il y a un art de boire, celui qui exalte la vie, issu de l’art de savoir élever la vigne.
C’est une femme, « Femme célébrant le vin » peinte par Bartolomeo van Der Helst qui présente un livre clairement calligraphié. C’est plus facile de prendre position que lorsqu’il s’agit de choisir entre jansénistes et jésuites, protestants ou catholiques. 
Les convives de JF De Troy attablés autour d’un « Déjeuner d’huitres » font sauter les bouchons, joyeusement. 
« Le buveur » d’Annibal Carrache coupe avec les grâces maniéristes, il a les yeux qui interrogent le fond du verre,  
et « Le jeune dégustateur » de Mercier a posé les clefs qui mènent aux trésors de la cave, il boit des yeux une promesse de plaisir.
Greuze, apprécié de Diderot condamne « L’ivrogne » qui ne tient pas son rôle de père, même le chien de la maison ne le reconnait pas, il grogne. 
« Sur le zinc », lors d’un de ses rares portraits, Vlaminck pousse la caricature avec une pocharde à la lippe pendante, au mégot tombant, au maquillage expressionniste.
Chagall, lui, reproduit  une coutume juive dans « Double portrait au verre de vin », sur les épaules de Bella, il lève haut le verre.
Le vin va avec l’amour, Magritte peint une femme sur une bouteille, le ciel sur une autre et le feu.

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