jeudi 3 mai 2012

L'expressionnisme allemand « Die Brücke » Le douloureux enfantement de l'art moderne en Allemagne par Catherine de Buzon.

Die Brücke (1905-1913) est un mouvement essentiel dans la naissance de l'art moderne. Signifie « le pont », entre l'ancien et le nouveau.
 « Ce qu'il fallait quitter, c'était clair pour nous ; où cela nous mènerait-il, voilà qui l'était, il est vrai, beaucoup moins ... »
 A Dresde, en Saxe, en 1905, des jeunes gens se réunissent, dans l'effervescence (Kirchner, Bleylk, Heckel, Schmidt-Rottluff). Leurs projets s'opposent au monde qui les entoure.
Dans le jeune empire allemand, vers 1900, c'est le triomphe du capitalisme volontariste. Le miracle économique s'accompagne d'une forte poussée démographique. Les villes se développent et Berlin est la plus grande ville d’Europe.
Issus de familles bourgeoises, en opposition à leurs parents, ils veulent être artistes mais doivent suivre les cours de l'école d'architecture de Dresde. Plus ou moins assidus, ils rêvent d'un monde plus solidaire, en harmonie avec la nature. La nouvelle peinture se définira par la volonté de rompre avec l'académisme. Gauguin (couleurs, vie dans les îles), Ensor, Munch et surtout Van Gogh les inspirent.
Nolde conseillait, au lieu de « Brücke » d'appeler le groupe « Van Goghiana ». Il joue un rôle déterminant dans l'orientation du groupe, orchestré par Kirchner et dissous en 1913.
L'atelier du 65 Berliner Strasse est décoré d'objets et de meubles construits par eux, avec du bois de récupération, des statuettes témoignent de leur fascination pour l'art primitif, les gravures, les dessins, les peintures, « nus d'un quart d'heure » représentant leurs compagnes. Il est le cadre de grandes discussions où les références à Nietzsche abondent. Leur été se passe près du lac de Moritzburg. Dans cette nouvelle Arcadie, ils vivent nus, très proche les uns des autres, ils ne signent pas leurs tableaux. Pour vivre de leur art, ils créent une association, font de nombreuses expositions et éprouvent le besoin d'aller dans une grande ville. En 1911, ils s'installent à Berlin et en seront transformés : le groupe éclate et se sépare en 1913. La guerre va les happer. Les gravures sur bois sont les réalisations les plus formidables du groupe, successeur des maîtres du 15 et 16ième siècles (Dürer, Cranach Holbein...)
Kirchner (1880-1938). Son père est ingénieur. Il peint d'abord, comme tous, à la Van Gogh, de nombreux portraits de sa compagne Dodo. L’influence de Matisse est aussi manifeste quand on voit sa palette chaude où les accords chromatiques sont essentiels, avec ses visages bleus et des cernes autour des formes. La couleur se libère dans des dessins et aquarelles rapides de Fränzi et Marcella dans le décor de l'atelier. A Berlin, il raconte les nuits « chaudes » avec un trait aiguisé où une grande tension est perceptible jusqu’à la violence. Il nous montre les bourgeois et les « cocottes » qui deviennent des personnages étranges, aux pieds étirés, aux silhouettes anguleuses.
On retrouve la même ambiance lourde, les mêmes tonalités chez Nolde qui a rejoint le groupe en 1905. Il peint sa nouvelle compagne, Erna. Traumatisé par la guerre, ce « volontaire involontaire » ne peut plus peindre, englouti dans l'angoisse. Malade, drogué à la morphine, il vit à Davos, conçoit quelques très belles gravures, quelques toiles. Il se suicide en 1938, après que les nazis aient déclaré Die Brücke « art dégénéré ».
Heckel (1883 – 1970) : fils d'ingénieur, organisateur du groupe (appartement, expositions..). Il construit par cernes et imite lui aussi Van Gogh. Ses paysages de couleur rouge s’étalent sur de grandes surfaces. Passionné par les émaux, ses gravures sur bois comportent toujours des esquilles laissées volontairement. .A Berlin, à partir de 1911, sa peinture devient sèche, plus terreuse. En 1913 il peint la toile « Jour de verre » qui devient l’icône du groupe. Il rencontre le cubisme. Pendant 14-18 : il ne peint pas de tableaux de guerre mais un superbe autoportrait et des paysages de campagne lumineux et pleins d'espoir.
Schmidt-Rottluff  (1884 -1976): fils d'un meunier, il les rejoint plus tard. Sur ses surfaces brossées, le rouge déferle. En 1910 « La percée dans la digue ». A Berlin, peintures fortes et gravures, plus graves après la guerre.
Pechstein: (1881 – 1955): fils d'un contremaître. Il suit une formation académique dont il aura du mal à se débarrasser pour ne plus être lisible. Il rejoint le groupe en 1906 et part à Berlin dès 1908, il voyage en Italie (toiles remarquables par leur composition, proches du cubisme). Au front, sur du mauvais papier, il tient une véritable chronique de l'horreur quotidienne.
Mueller : (1874 -1910) les rejoint en 1910. Raffinement, douceur, formes et rythme. Il peint exclusivement le corps de la femme (jeunes silhouettes bucoliques). Il apporte beaucoup au groupe sur la préparation de la peinture (ex : utilisation de la glu d'où des couleurs plus ternes.) Détruit par la guerre, au retour, son seul sujet sera les gitans, « innocents » car pas concernés par le conflit.
Nolde, artiste très indépendant, plus âgé, très connu, n'accompagnera que 18 mois l'aventure commune. Passionné de la couleur, peintre des jardins, des paysages si puissamment colorés qu'ils gomment les personnages.

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