mardi 23 mars 2010

« Le pays d’où je viens… »

Au pays d’où je viens, le Plat Pays, ses maigres chevaux, les rivières ne coulent pas : elles sont canaux paisibles, porteurs de péniches ou se baladent sous terre, se font marécages et les égouts puent.
Au pays d’où je viens les murs sont de briques usées, rouges et noires parfois blanchies de peinture grasse vite ternie.
Ce pays d’où je viens dressait autrefois de hautes cheminées dominant les crassiers. Aujourd’hui les terrils ont verdi, devenus collines en hiver, modestes pentes pour timides skieurs.
Au pays de mes grands parents, dans les cités processionnaires, au pays de mes grands parents, Pas-de-Calais, il y a encore des corons. Leur maison toujours debout, deux pièces en bas, deux pièces en haut, si exiguës. Les temps nouveaux ont ajouté des vérandas. L’aluminium tient les fenêtres.
Ma mère y a grandi, si vite passant de l’enfance à l’âge adulte. Ma mère, ses onze frères et sœurs. Les filles promises aux « wassingues », les garçons « au fond », aux lampes à éthylène, aux boyaux, à une mort pas facile.
Au pays de mes ancêtres les hommes mouraient jeunes. Les veuves se mettaient en ménage avec un mineur moribond. On ne se mariait pas : ça faisait deux pensions.
Il y a une vingtaine d’années je suis retournée à Auchel (Pas de Calais) dans une de ces petites maisons de briques restaurées. Il y avait sur une couche mauve à volants l’avant-dernier de mes oncles, à son côté des bouteilles d’oxygène, sa future veuve aussi. Le mineur en tenue de momie, visage d’Indien.
Au pays d’où je viens les survivants ont le souffle court. Ils jouent aux boules et à la belote en toussant. Le foot c’était il y a si longtemps.Ils jouent dans les vestiaires de la vie en buvant leur bistouille (du Genièvre dans un fond de café).
Au pays d’où je viens, la pluie est mère fidèle, lavant et délavant, jamais découragée, son enfant meurtri.
En Novembre, il y a la Grande Braderie ; on y mange des tonnes de moules et de frites. La bière autrefois, en un temps moins écologique, coulait des braguettes aux caniveaux. Les femmes se retenaient.
Le soir on brûle toujours des géants de tissu, de papier et de bois sur la grande place de la Bourse, autrefois celle du Général de Gaulle.
Les Lillois font la ronde en chantant sous un ciel blanc et gris.
Misérabilisme ? Passéisme ? Nostalgie ? Que dalle !
Ecoutez ma mère :
« On a eu une enfance si joyeuse, on se faisait des farces, je lavais les longs cheveux de ma mère. Mes parents s’adoraient. On craignait la ceinture du père mais on courait plus vite qu’un mineur essoufflé.
On voisinait, on s’entraidait, on se mettait des branlées ; on était communistes et on baptisait les nouveaux-nés. »

Marie Treize

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