mercredi 3 décembre 2008

Evaluation. « Faire classe » # 11

Le terme évaluation est devenu omniprésent, les procédures se compliquent à l’excès pour arriver à des avis anodins où la confiance envers les professeurs est évacuée derrière des langages formatés et jargonnants. Les enfants sont souvent vus comme des dangers par une société qui se rassure bien vite quand l’uniforme met le couvercle, ou comme des victimes dans les télés irréalités. Pour le tout-venant : la notation qui pouvait s’exercer sans dramatisation avait le mérite d’être comprise de tous. Elle laisse place, à un baragouin qui accable les plus démunis, à une liasse de compétences en train de s’acquérir tellement épaisse que c’est la bonne volonté des parents qui s’émousse.
La reconnaissance des mérites prendra tout son prix si l’enseignant assume l’évaluation bienveillante des difficultés, des manques.
Nuancées, les appréciations, si elles sont simples, auront du poids.
A côté de la reprise de la quinzaine de notes acquises en évaluation ponctuelle ou continue, avec le récapitulatif du nombre de romans lus, de contes et de poèmes présentés, j’apportais un soin maniaque à l’appréciation que je portais sur chaque élève. J’évitais de paraphraser ce que les notes détaillaient : au brouillon d’abord, je pesais mes mots, ne voulant plus provoquer le désappointement légitime d’un père, en juin, à qui je proposais le redoublement pour son fils alors que je n’avais cessé de l’encourager tout au long de l’année. Plus long que d’apposer des croix dans un tableau standard, mais un lien authentique. Chaque fois que le bulletin était rendu, le descriptif des travaux effectués dans le trimestre était communiqué aux parents.
Le trajet individuel et le bilan collectif : oui, la satisfaction du chemin accompli.
- Pour les élèves les plus en difficulté, la simplicité devra être la règle.
Avancer cette recommandation peut relever de l’ouverture de portes déjà battantes mais situe le fossé creusé entre les praticiens et les experts.
Dans le temps, le maître respecté était du même bord que ceux auxquels il s’adressait. Aujourd’hui ceux qui singent la proximité se dissimulent derrière les mots de la caste pédagogique dans la lignée du dialecte notarial, judiciaire, législatif, cultureux, médical ou financier.
Les évaluations de sixième et de C.E.2 proposées à toute la France introduisaient une innovation intéressante : de nouvelles formes d’exercices, cependant peu renouvelées d’une année sur l’autre, une concrétisation des exigences attendues pour les élèves à ces niveaux, des modalités d'appréciations fines, un protocole commun pour le passage des épreuves.
Elles auraient pu donner lieu à des comparaisons riches; nous nous en étions d’ailleurs servis pour notre école en accordant plus d’attention à la géométrie où pêchaient nos élèves. Il est si rare dans le métier de pouvoir jauger d’une évolution, que notre fierté put se nourrir des progrès constatés. Mais nous ne pouvions avoir connaissance des résultats des écoles voisines. La porte reste grande ouverte aux rumeurs, au dénigrement constitutif de notre identité de français. La place est toute chaude pour les hebdomadaires maniaques des classements qui dégainent leur thermomètre de l’immobilier après l’anémomètre des lycées, le baromètre des hôpitaux et le doigt mouillé du frenchy le plus populaire. Ils auraient pu s’épargner un dossier, tant le prix du mètre carré coïncide avec le nombre de mentions au bac. Ces mentions sont venues discriminer des réussites trop artistiquement floues.
Carte scolaire : le problème se pose au collège, pas à l’école. Pourtant un C.P. raté se révèle autrement plus déterminant qu’un prof de maths défaillant en quatrième. La zone est implacable pour les plus exclus et de l’autre côté les libérales professions renforcent leur ghetto. Qui dira "zone de non droits" pour les nichés fiscaux ? Les parents, les autres, ont, très majoritairement, confiance en l’école. Mais il suffit d’un principal un peu niquedouille pour que la réputation d’un établissement plonge ; il sera plus difficile de remonter la pente pour un(e) déterminé(e) qui travaillera en confiance avec ses profs.
Pour nos cuisines personnelles : habituer les enfants à juger de leurs évolutions sans tomber dans les délires auto-évaluatifs qui furent prisés un temps jusqu’au bord des piscines ou sur les pentes du Vercors : « enlevez vos moufles et sortez vos stylos ! ». Les graphiques gérés par les élèves eux-mêmes s’avèrent parlants même si des tricheries viennent corriger quelques variations saisonnières ( prélude aux lissages diplomatiques dans les jurys de Bac). J’ai été marri un moment de l’aveu enjoué d’une ancienne élève dont le souvenir le plus marquant était de m’avoir bien roulé. « Mais ce n’est pas moi que vous trompez »n’ai-je même pas pathétiquement répliqué. Ma naïveté m’a protégé.
A passer son temps au trébuchet, l'instit qui pèse les résultats et non les âmes a moins de temps pour préparer sa classe. Les pratiques recommandées souhaitent ensevelir les maîtres sous l’abondance des items évaluatifs. L’obsession de la transparence, du contrôle : enlevez-moi ce spot, il m’éblouit. Le « maître » peut très bien souhaiter ne pas tout maîtriser.
J’ai abandonné, à mon tour, l’utopie qui bannissait tout examen. Terrible escroquerie : la sélection s’opère, insidieuse ou brutale quand elle a été repoussée : désastre de l’enseignement supérieur. J’ai gardé après mes années échevelées, l’idée que la vérification notée devait être un prétexte pour valoriser les travaux accomplis. Ceux ci n’ont jamais été l’objet de classement, même si les notes étaient proclamées parfois pour calculer collectivement la moyenne de classe (souvent autour de 14/20). Dextérité autour de l’usage de la calculatrice et réitération de la notion de moyenne. Oui, je faisais souvent calculer les moyennes après un contrôle par les élèves eux-mêmes. Je n’ai pas le souvenir de traumatismes mais d’un exercice rondement mené de mathématiques appliquées.
De toutes les façons, les enfants connaissent assez finement les potentiels de chacun.
Et partout ailleurs : que je te classe les villes fleuries, les hôpitaux, le meilleur passeur du championnat ; les moindres mots sont sondés à longueur de journées ! Mais l’excellence n’est plus valorisée à l’école ; les rites de remise des prix sont réservés aux gagnants du loto. Place aux benêts chez Bern.
J’annonçais chaque contrôle au tableau des projets hebdomadaires entre une exposition sur les illusions d’optique et le rendez-vous avec notre conteur. Le symbole en était la gravure d’une cordée à l’assaut d’une forte pente dont le produit dérivé figurait un montagnard en bois escaladant un baromètre à poser sur le tableau le moment venu. Un de mes malabars m’avait demandé de ne plus installer ce fétiche : il ne le prenait pas comme un jeu, mais comme un signe trop solennel qui lui « portait malheur ». Je lui ai demandé sa permission pour le réintroduire. Les interprétations enfantines nous dépassent, souvent.
Après chaque contrôle j’ouvrais l’institution « bureau des pleurs » : cela motivait des corrections attentives, rétablissait la justice d’un point oublié. Dédramatisation.
Un petit dessin agrémentait chaque feuille de contrôle avec une formule, si possible amusante, pour ne pas oublier de noter son nom.
Exemple picoré ailleurs pour un contrôle de conjugaison :
« Evite le présent lointain, le futur avancé, l'inactif présent, le passé postérieur, le pire - que -passé, le jamais possible, le futur achevé, le passé terminé, le plus-que-perdu. Note ton nom: »
Je m’efforçais à varier les exercices en me refusant de noter les objectifs pédagogiques exhaustifs à destination des bobos-parents dont abusent les néos convertis au jargon Ifumiens. Les consignes sont destinées aux enfants sans alourdir une double page. Je pensais que l’application que je leur avais portée serait suivie par un plus grand zèle du client qui devait « plancher ». Une fois corrigée, la feuille rejoignait les autres dans le classeur spécifique aux contrôles que je n’appelais pas compositions mais cela en avait bien cette solennité destinée à motiver les troupes sans assommer les plus fragiles.
Pour ceux qui ne récoltent que quelques maigres points, trop de notes en dessous de la ligne de flottaison devenues à force, illisibles,des démarches existent pour apaiser des angoisses bloquantes : les comptes retiennent le positif. Quarante cinq mots dans la dictée : on notera les mots réussis : 42 sur 45. On aura dénombré quand même 3 fautes, oh pardon trois erreurs à ne pas corriger en rouge traumatisant ! La bêtise a parfois le sourire angélique, c’est alors une grimace.

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